A 19h30, Juris fut certain qu'il se passait quelque chose d'anormal. Sa mère avait peut-être eu un malaise qui l'avait terrassée avant qu'elle ait pu prévenir quelqu'un. A 19h45, Juris se décida à enfoncer la porte d'entrée. En pénétrant dans l'appartement, il faillit tomber sur une chaise placée au milieu de l'entrée. Il se rendit dans la chambre d'Anna et découvrit les tiroirs de la coiffeuse grands ouverts. Juris, n'ayant toujours pas trouvé sa mère, revint dans l'entrée, puis se dirigea vers la cuisine et la salle de bains. Il découvrit alors sa mère étendue sur le sol de la cuisine. Elle gisait les jambes écartées, la jambe droite repliée. Son peignoir, ouvert sur le devant, révélait son corps nu. La ceinture bleue du vêtement était serrée autour de son cou, et nouée en un gros noeud maladroit. Joseph Magliaro, assis à l'endroit où fut retrouvé le corps d'Anna Slesers. Magliaro emménagea dans l'appartement peu après le meurtre, et décrivit l'atmosphère des lieux "plutôt étrange". |
Thomas Bruce, concierge, découvrit le corps de Nina Nichols. La victime était étendue, son peignoir rose et sa combinaison relevés jusqu'à la taille, deux bas de nylon autour du cou. La police en concluait qu'un inconnu avait pénétré dans l'appartement, probablement pour y commettre un larcin. Apercevant alors Madame Slesers prête à prendre son bain, il avait dû l'agresser, poussé par une incontrôla- ble pulsion sexuelle. Paniqué à l'idée qu'elle puisse le reconnaître, il avait ensuite étranglé sa victime. Deux faits demeuraient néanmoins troubl- ants aux yeux de la police. Comment l'assassin avait-il pénétré dans l'appartement? Aucune trace d'effraction n'ayant été relevée, on sup- posa que la victime avait volontairement laissé entrer le meurtrier chez elle. Pourtant, Anna Slesers était une femme timide et réservée, et nul ne l'avait jamais vue en compagnie d'un |
Mais le 30 juin, soit deux semaines après ce premier crime, on découvrit le corps d'une femme d'âge avancé. Le meurtre de Nina Nichols, âgée de 68 ans, s'était déroulé dans des circonstances presque analogues. La victime avait été étranglée à l'aide de deux bas de nylon lui appar- tenant, noués de façon semblable autour de son cou. On avait remonté son peignoir et sa combinaison jusqu'à la taille, de sorte que Nina Nichols apparaissait demi-nue. Un chaos organisé
Comme dans l'affaire Slesers, l'appartement de la victime montrait des signes de désordre.
On avait examiné les sacs de Nina Nichols et renversé leur contenu à terre. Ses vêtements et ses affaires étaient éparpillés au hasard, et on avait déchiré un album de photos dont les pages jonchaient le sol. Mais comme dans le cas précédent, le mobile de l'agression n'était pas le vol (le meurtrier avait laissé un appareil photo d'une valeur minimum de 300 $), et un semblant d'ordre était encore visible au milieu de ce fouillis méthodiquement obtenu. On ne trouva aucune trace d'effraction. Quant à la personnalité de la victime, elle ne fournissait aucun indice. Nina Nichols était veuve depuis plusieurs années et ne comptait pas d'homme parmi ses proches. La police de Boston était donc confrontée à la situation suivante : deux femmes âgées avaient été sexuellement abusées et étranglées en l'espace de deux semaines. |
La police se livra à une fouille minutieuse de l'appartement d'Helen Blake (à droite). Après ces trois meurtres, il leur fallait découvrir au plus vite un indice pour identifier l'Etrangleur. Le meurtre avait été commis dans des circonstances similaires à celles des deux précédents. La victime était presque nue, elle avait été étranglée avec un bas de nylon dans lequel était glissé un soutien-gorge dont les bretelles formaient un gros noeud au-dessous du menton. Comme Anna Slesers et Nina Nichols, la victime avait subi des violences sexuelles, mais n'avait pas été violée. On avait fouillé son appartement et examiné ses affaires. Helen Blake était morte depuis plusieurs jours lorsque l'on découvrit son corps. L'autopsie permit de fixer la date du meurtre au 30 juin, soit le même jour que celui de Nina Nichols. Toutefois on ne put déterminer l'heure du crime. Le tueur avait donc frappé deux fois le même jour. Devant le nombre et la similarité des meurtres, la police comprit qu'elle n'avait pas affaire à des crimes isolés, exécutés par différents agresseurs. Les policiers devaient maintenant envisager d'imputer ces meurtres à une seule personne - un tueur déchaîné doublé d'un maniaque sexuel. |
Le meurtre d'Anna Slesers souleva peu de commentaires dans une ville où 50 crimes environ étaient commis chaque année. En revanche, la découverte du double assassinat du 30 juin 1962 fit souffler un vent de panique sur la ville. Après le meurtre d'Ida Irga, quat- rième victime de l'Etrangleur, la panique atteint de tels sommets que, le 24 août, le Boston Herald lui consacra son éditorial sous le titre "L'hystérie ne résoud rien". Six jours plus tard, on découvrait le corps d'une cinquième victime. On attribua au meurtrier inconnu des pouvoirs surnaturels. L'homme fut surnommé l'Etrangleur Fou, le Tueur du Soir (certaines de ses victimes furent tuées en fin d'après-midi), ou encore l'Etrangleur Fantôme. Le règne de la peur
La peur de l'Etrangleur paralysa la vie quotidienne des bostoniens. Releveurs de compteurs, enquêteurs, employés des services sociaux, étudiants de Harvard travaillant sur des études de terrain, agents électoraux et
postiers trouvèrent porte close. |
Jacqueline Johnson (ci-dessus), escortée par des détect- ives devant le 515 Park Drive (à droite), où son amie Patricia Bissette avait trouvé la mort. Ce meurtre confir- ma les craintes de la police : désormais, l'Etrangleur s'attaquait aussi bien aux jeunes femmes qu'aux personnes âgées. |
D'après les psychiatres travaillant avec la police, le meurtrier devait avoir entre 18 et 40 ans. Il s'agissait d'un homme jeune en proie à un délire de persécution, qui éprouvait de la haine envers sa mère, ce qui expliquait ses attaques sur des femmes âgées. |
McNamara fit appel à la presse, demandant à ce que les crimes ne soient pas décrits en détail. Il craignait avant tout que la population ne soit gagnée par la panique. Parallèlement, il chercha des renforts de tous côtés. Cinquante détectives triés sur le volet furent sélectionnés pour assister à un séminaire sur les crimes sexuels, donné par un spécialiste du FBI - qui proposa aussi son aide. Parmi ces cinquantes hommes figuraient le lieutenant détective Edward Sherry, le lieutenant John Donovan, chef de la brigade criminelle de Boston, James Mellon et le détective Phil DiNatale. Ce même groupe serait plus tard responsable des investigations policières dans cette affaire. Après le séminaire, ils retournèrent immédiatement à leur enquête sur l'Etrangleur, dans l'espoir que ce savoir fraîchement acquis leur permettant de déceler de nouveaux indices. |
IDA IRGA, 75 ans, vivait seule depuis le décès de son mari, survenu dans les années 1930. Timide et réservée, elle aimait aller au concert. Elle consultait parfois au Massachussetts Memorial Hospital. La position du corps ressemblait ainsi à ce qu'un journaliste décrivit comme "une parodie grotesque de position gynécologique". Un autre détail inspirait l'horreur. Dans un geste d'ultime défi, le corps avait été placé de manière à ce qu'on l'aperçoive imméidat- ement en pénétrant dans la pièce. Or, ce fut le fils du gardien de |
Trois jours après la découverte du corps d'Ida Irga, le Boston Herald, dans l'espoir louable de calmer la ville, publia un éditorial sur les risques statistiques pour quiconque de devenir la prochaine victime de l'Etrangleur Fou - surnom donné à l'assassin dans les journeaux à sensation. Intitulé "L'hystérie ne résoud rien", l'article déclarait : "Si l'on peut dire avec raison que la police cherche une aiguille dans une meule de foin, on peut également soutenir que les risques pour une personne donnée de devenir la prochaine victime du ou des tueurs sont pratiquement nuls." Le 30 août, six jours plus tard, en guise de réponse à cet éditorial, le corps de Jane Sullivan fut découvert. Cette infirmière de 67 ans avait été étranglée dans son appartement situé au premier étage, 435 Columbia Road, à Dorchester - à l'autre bout de Boston par rapport à l'appar-tement d'ida Irga. On estima que sa mort remontait à dix jours, soit au 20 août. Ida Irga et Jane Sullivan avaient donc été étranglées à 24 heures d'intervalle. JANE SULLIVAN, 67 ans, travaillait comme infirmière de nuit au Longwood Hospital. D'origine irlandaise, elle ne s'était jamais mariée et se méfiait des hommes. |
Au début du mois de septembre, le Docteur Richard Ford, qui dirigeait le département de médecine légale de l'Université d'Harvard, organisa une réunion avec des policiers, des médecins légistes et des psychiatres, pour tenter d'établir le profil de l'assassin. On avait écarté à un stade très précoce de l'enquête l'hypothèse selon laquelle une femme pourrait être responsable de ces meurtres. En effet, il fallait une grande force physique pour déplacer les corps des victimes. Pour la majorité des psychiatres, le profil qui se dessinait était celui d'un homme d'apparence banale, travaillant quotidiennement, protégé par son anonymat même : un homme calme et bien intégré dans la vie quotidienne, du moins en apparence. La vérité était bien différente. Un homme quelconque
Ford et son équipe cherchaient un "dénominateur commun" à ces crimes. Il pouvait s'agir "du moment ou de la manière dont ces femmes avaient trouvé la mort, ou d'un détail lié à l'endroit où elles vivaient ou à leur mode de vie."
Mais le second groupe de meurtres, totalement différent du premier, allait bouleverser cette hypothèse. Tout espoir d'identifier l'assassin grâce aux caractéristiques des premiers meurtres devait être abandonné. |
SOPHIE CLARK, 20 ans, suivait des études pour devenir technicien hospitalier. Elle partageait un appartement de Back Bay avec deux autres jeunes femmes. La première victime de cette seconde vague meurtrière fut Sophie Clark, tuée le 5 décembre 1962. Bien que le meurtre ait été commis de la même manière que les autres et que son appartement ait également été fouillé, le cas était très différent : Sophie Clark était jeune - elle avait 20 ans - elle était noire et ne vivait pas seule. De plus, contrairement aux autres victimes, elle avait été violée. |
PATRICIA BISSETTE, 23 ans, partageait aussi un appartement dans Back Bay. De façon inhabituelle, l'Etrangleur recouvrit le corps. Elle était enceinte d'un mois. |
BEVERLY SAMANS, 23 ans, étudiante diplômée, voulait être chanteuse d'opéra. Elle était musicothérapeute à mi-temps dans plusieurs hôpitaux. |
MARY SULLIVAN, 19 ans, secrétaire, avait emménagé trois jours auparavant dans l'appartement de Beacon Hill qu'elle partageait avec d'autres occupants. Mary Sullivan, âgée de 19 ans, était en effet la plus jeune des onze victimes de l'Etrangleur, et les circonstances qui entouraient sa mort étaient épouvantables. Selon le rapport de police, la jeune femme fut trouvée "adossée à la tête du lit, un oreiller sous les fesses, la tête inclinée sur l'épaule droite, les genous relevés, les yeux clos, un liquide visqueux (du sperme?) s'écoulant de la bouche sur le sein droit, la poitrine et le bas du corps dénudés, un |
TERRAIN DE CHASSE LES VICTIMES 1? 14.6.62 Anna Slesers 2? 30.6.62 Nina Nichols 3? 30.6.62 Helen Blake 4? 19.8.62 Ida Irga 5? 20.8.62 Jane Sullivan 6? 5.12.62 Sophie Clark 7? 31.12.62 Patricia Bissette 8? 6.5.63 Beverly Samans 9? 8.9.63 Evelyn Corbin 10? 23.11.63 Joann Graff 11? 4.1.64 Mary Sullivan 12? 28.6.64 Mary Mullen 13? 9.3.63 Mary Brown |
Mary Sullivan, assassinée par l'Etrangleur à l'âge de 19 ans, avait emménagé au 44 Charles Street (à gauche) le jour de l'An 1964. Trois jours plus tard, les deux autres locataires de l'appartement trouvèrent la jeune fille étranglée, son corps dénudé adossé au lit. Une carte de voeux avait été placée sur son pied gauche. Mary, qui adorait la musique, se rendait volont- iers au Sevens (à droite), petit pub voisin, situé à Beacon Hill. |
Commonwealth Avenue (à gauche), où résidait Mary Mullen. La mort de la vieille dame, due à une crise cardiaque, ne fut tout d'abord pas imputée à l'Etrangleur.
DeSalvo pénétra dans l'appartement en se faisant passer pour un ouvrier.
Selon lui, Mary Mullen était morte dans ses bras. Il ne la violenta pas, il plaça le corps de la vieille dame sur le lit et partit.
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77 Gainsborough Street (à gauche), domicile d'Anna Slesers, première victime de l'Etrangleur, en juin 1962. Trois ans plus tard, DeSalvo relatait le crime dans ses moindres détails.
Une nette influence
européenne, visible dans son architecture, a contribué à faire de Boston la capitale intellectuelle et culturelle de la Nouvelle-Angleterre. Le prestige de la ville fut sévèrement entamé par les méfaits de l'Etrangleur. |
Le Procureur général du Massachussets, Edward Brooke, répliqua aux attaques politiques en chargeant John Bottomly de l'affaire. L'action de Bottomly fut rapide : il fit exécuter une copie des rapports de police concernant les différents cas de strangulation, conservés dans les districts où les crimes avaient été commis. Un dossier de 37 500 pages fut ainsi constitué. Toutes ces informations furent ensuite analysées par ordinateur. La fin du mois de janvier 1964 fut marquée par un curieux événement. Quelques semaines plus tôt, un homme d'affaires en retraite avait proposé à Bottomly de faire appel à John Hurkos, un médium hollandais de 52 ans ( l'homme s'engageait à contribuer personnellement aux frais ). |
Le détective John Donovan à la recherche de témoins (ci-dessus), près de l'endroit où Patricia Bissette fut étranglée. |
On chercha vainement des empreintes sur la fenêtre de l'appartement de Beverly Samans (ci-dessus à droite).
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Hurkos quitta Boston le 5 février, une semaine après son arrivée. Sa collaboration s'achevait aussi brusquement qu'elle avait débuté. Le 8 février, au cours d'une opération perçue comme une tentative de déstab- ilisation contre le Procureur Général, Hurkos fut accusé d'avoir usurpé l'identité d'un agent du FBI et arrêté. Parallèlement, le travail d'investigation redoublait d'intensité. La récompense donnée pour la capture de l'Etrangleur passa de 5 000 dollars à 10 000 dollars. De nouveaux spécialistes furent adjoints au comité médico-psychiatrique formé au début de l'année. |
Après une enfance sordide, Albert fut attiré par la respectabilité d'Irmgard, issue de la petite bourgeoisie allemande. A Francfort, il rencontra Irmgard, jeune fille issue d'une famille catholique de la classe moyenne, et l'épousa. Sa femme et lui rentrèrent aux Etats-Unis en 1954. Il fut alors affecté à Fort Dix, où sa fille Judy naquit en 1955. DeSalvo quitta l'armée en 1956 avec de bons états de service, malgré une inculpation - qui fut finalement levée - pour attentat à la pudeur sur une petite fille de neuf ans. Albert et Irmgard retournèrent alors à Chelsea. Le couple s'installa ensuite à Malden, dans la banlieue de Boston, où naquit leur fils Michael. |
Une rue du quartier de Beacon Street, à Boston. DeSalvo n'éprouvait aucune difficulté à s'introduire chez les étudiantes, nombreuses dans le quartier. Nassar éluda la question et DeSalvo s'éloigna. Quelques jours plus tard, il s'approcha à nouveau de son compagnon et déclara : " Tu croyais que c'était une question débile. Eh bien..." La conversation qui suivit ne fut jamais rapportée en détail, mais elle suffit à convaincre Nassar que DeSalvo était bien l'Etrangleur. Sûr de son fait (et sans doute attiré par la prime de 110 000 dollars offerte pour la capture de l'Etrangleur), il prit contact avec son avocat, Lee Bailey. Ce dernier, qui ne tenait tout d'abord pas à s'immiscer dans cette affaire, se laissa pourtant convaincre par l'insistance de Nassar, qui soutenait que DeSalvo voulait le rencontrer, et accepta le rendez-vous. |
Le 4 mars, Bailey, qui ne savait que penser de cette histoire, se rendit à Bridgewater pour sa première rencontre avec DeSalvo. L'homme qui le reçut mesurait environ 1,72 mètre, avait les cheveux noirs et un nez pointu en bec d'oiseau. Sa voix était haut perchée, et il semblait aimable et sincère. Son aspect engageant et son apparence très banale en faisaient un suspect parfait aux yeux de Bailey. Il était facile d'imaginer un tel homme persuadant ses victimes de le laisser pénétrer chez elles pour les tuer puis s'évanouissant dans la nature sans attirer l'attention. Durant l'entretien enregistré qui suivit, DeSalvo avoua les onze meurtres déjà attribués à l'Etrangleur, plus deux autres dont la police n'avait pas eu connaissance : le 9 mars 1963, Mary Brown avait été battue et poignardée dans son appartement de Lawrence ; une autre femme, âgée de 80 ans, était morte d'une crise cardiaque dans ses bras. DeSalvo ne se rappelait ni son nom, ni son adresse (au cours de l'enquête, on établit que la victime s'appelait Mary Mullen, décédée le 28 juin 1962). D'une voix calme, dénuée de toute trace d'émotion, DeSalvo fit un récit détaillé des meurtres, incluant certaines précisions qui n'avaient jamais été rendues publiques (il déclara ainsi que la porte de l'appartement de Patricia Bissette s'ouvrait vers l'extérieur). Il traça un croquis exact des treize appartements où les crimes avaient eu lieu, et décrivit le noeud spécifique employé par l'Etrangleur. DeSalvo expliqua qu'il le faisait toujours ainsi. Il l'avait utilisé auparavant pour fixer le plâtre amovible que portait sa fille pour corriger sa hanche déformée. Le gros noeud amusait Judy. |
Bridgewater, où DeSalvo se confessa à John Bottomly, assistant du Procureur général. DeSalvo y fut renvoyé après avoir été jugé pour les méfaits de l'Homme en Vert. A l'exception d'une ou deux erreurs, les descriptions de DeSalvo étaient dans l'ensemble exactes. Lee Bailey, certain d'avoir identifié l'Etrangleur, appela le Lieutenant Donovan et l'invita à venir écouter l'enregistrement. Dès qu'il eut entendu la bande, ce dernier téléphona au bureau du Procureur général. Les enquêteurs étaient confrontés à un curieux dilemme. En dépit de l'exactitude du récit de DeSalvo et de son désir manifeste d'avouer ses crimes, il n'y avait aucune preuve contre lui. L'Etrangleur n'avait pas laissé d'empreintes que l'on puisse confronter à celles de DeSalvo, et on ne disposait d'aucun témoin. L'unique rescapée d'une agression commise par l'Etrangleur, une serveuse allemande, se révéla incapable de l'identifier. Quant aux voisins des victimes, ils ne reconnurent pas sa photo. |
Jon Asgiersson (ci-dessus) fut l'avocat de DeSalvo dans l'affaire du "Mesureur". Après avoir rencontré Nassar, DeSalvo lui préféra Bailey.
S'il s'avérait que DeSalvo avait dit vrai, et s'il était déclaré apte à être déféré devant le tribunal, il serait soumis à un examen psychiatrique afin de déterminer son état mental au moment des meurtres. Si DeSalvo était reconnu irresponsable, il ferait des aveux officiels, utilisables devant la cour ; il plaiderait alors non-coupable dans l'espoir d'être placé dans un établissement psychiatrique. Si au contraire DeSalvo était reconnu sain d'esprit, (ce qui signifiait la peine capitale), il n'y aurait pas d'aveux officiels et toutes les poursuites contre lui cesseraient. Son immunité garantie quoi qu'il arrive, DeSalvo accepta la proposition. Au cours du printemps, de l'été et de l'automne 1965, DeSalvo rencontra Bottomly chaque semaine, en présence d'une tierce personne faisant office de témoin. Anxieux, semblait-il, de comprendre ce qui lui était arrivé, il s'appliquait à retrouver les détails de chaque meurtre. Il expliqua notamment pourquoi il tuait de préférence pendant les week-ends : " Je quittais la maison le samedi en expliquant à ma femme que je devais travailler ". Une fois dehors, DeSalvo se promenait au hasard des rues dans son coupé vert Chevrolet de 1954, jusqu'à ce que "l'envie" de tuer s'empare de lui. Aucun de ses gestes n'était prémédité. Il choisissait une maison au hasard, appuyait sur une sonnette portant un nom féminin puis pénétrait facilement dans les appartements sous prétexte de travaux de réparation ou de décoration. |
Lorsqu'il se sentit en confiance avec Bottomly, DeSalvo admit que le problème était ancien. " Cette chose s'accumulait en moi... tout le temps... Je savais que j'étais entrain de perdre le contrôle de moi-même ". C'est une déclaration du Gouverneur Peabody, qui affirmait que l'Etrangleur ne serait pas exécuté mais qu'il serait envoyé dans un établissement psychiatrique, qui avait décidé DeSalvo à tout avouer. L'incroyable confession de DeSalvo s'acheva le 29 septembre 1965. Les contrôles effectués par la police tendaient à prouver qu'il avait dit vrai et il connaissait des éléments n'ayant jamais été divulgués au public. On ne pouvait qu'admettre la culpabilité de cet homme effondré. Lorsque la police étudia ses archives, toute l'ironie de la situation apparut. Après une chasse à l'homme sans précédent, on découvrait que le tueur était répertioré et fiché depuis longtemps. Si DeSalvo avait réussi à passer au travers des mailles du filet, c'était parce qu'il figurait à la rubrique des vols par effraction et non à celle des agressions sexuelles. Lee Bailey se passionna pour l'affaire DeSalvo. Il ne voulait pas le savoir libre, mais ne souhaitait pas non plus l'envoyer à la chaise électrique. L'avocat espérait que DeSalvo, après un jugement qui établirait légalement sa culpabilité, serait placé dans un hôpital psychiatrique où les médecins étudieraient son cas et lui apporteraient l'aide dont il avait besoin. Lee Bailey se trouva néanmoins confronté à un problème juridique de taille. Les psychiatres avaient établi que DeSalvo était en état de démence lorsqu'il avait commis les meurtres. |
Lee Bailey, qui souhaitait mieux connaitre les rai- sons du comportement de son client, organisa une série de rencontres entre DeSalvo et le Docteur Wil- liam Bryan, spécialiste de l'analyse des personnes placées sous hypnose. Lors du premier rendez- vous, le Dr. Bryan demanda à DeSalvo de revivre le meurtre de sa neuvième victime, Evelyn Corbin. Son patient parut très boule- versé lorsqu'il en arriva au moment où il plaçait sa victime sur le lit. Interrogé par Bryan, DeSalvo expli- qua qu'il avait pour habi- tude de masser les cuisses de sa fille Judy pour la soulager. Bryan émit alors l'idée que pour DeSalvo, il fallait faire mal aux gens pour les aider. Le lendemain, DeSalvo fut de nouveau placé sous hypnose et reprit son récit. Puis il s'arrêta au milieu d'un mot. Bryan, qui avait la certitude qu'il s'agissait |
d'un geste sur les cuisses de la victime, suggéra à DeSalvo qu'à travers cha- que meurtre, il essayait d'aider sa fille - et que Judy personnifiait en quel- que sorte la raison pour laquelle Irmgard avait cessé de l'aimer. Bryan se pencha et il murmura à l'oreille de son patient : " A chaque fois que vous avez tué, c'était parce que vous vouliez tuer Judy, n'est-ce pas ? ". De- Salvo, toujours sous hyp- nose, s'écria : " Vous êtes un menteur ! " et ses mains ensèrrent avec fureur la gorge de l'hypnotiseur. |