Alias : "Le boucher de Plainfield"
Date de naissance : 27 août 1906
Classification : Tueur en série
Caractéristiques : Nécrophile
Nombre de victimes : 2 et +...
Date des meurtres : 8 décembre 1954 et 16 novembre 1957
Date d'arrestation : 17 novembre 1957
Méthode de meurtre : Tir
Lieu : Plainfield, Wisconsin, USA
Statut : Décédé le 26 juillet 1984

I          DISPARITION

En 1954, dans une petite ville des États-Unis, la populaire
partronne d'un bar disparut sans laisser de traces.
Tout indiquait qu'il s'agissait d'un acte criminel,
mais un étrange homme à tout faire des environs déclara
savoir exactement où elle se trouvait.

 

Un an après la disparition de Mary Hogan à la Hogan's Tavern (ci-dessus), le journal local publia en première page un article sur l'affaire. On pouvait y lire : " Le mystère reste total, obscur et profond ". L'auteur pours-
uivait en s'interrogeant : " Est-ce son passé qui l'a rattrapée ? Ou bien s'agissait-il tout bonnement de truands locaux ? " Ces questions ne reçurent une réponse que trois ans plus tard.


     La région centrale du Wisconsin, dans les grandes plaines du Middle West des États-Unis, est plate et monotone. Suivant une expression locale, c'est la "morne plaine" de l'État : des plaines herbeuses désolées, parsemées de fermes solitaires et de petites villes. Dans les années cinquante, les fermiers de la région élevaient un peu de bétail et cultivaient leurs lopins de seigle sur cette terre sablonneuse et caillouteuse. Mais ils gagnaient à peine de quoi vivre. Leur seul exutoire, dans cette lutte quotidienne, était de partir à la chasse ou de se tretrouver en ville pour boire de la bière.
     En 1954, la petite ville de Plainfield - guère plus que quelques magasins et maisons de bardeaux - avait son propre lieu de perdition, un bar intitulé "Hogan's Tavern". La propriétaire du bar, Mary Hogan, était une plantureuse quinquagénaire, deux fois divorcée. Aux dires de tous, c'était un personnage haut en couleur au passé douteux.

 
Endroit   frelaté
 
Mary Hogan, née en 1930 de parents allemands. On sait peu de chose de sa vie avant Plainfield, à part qu'elle vécut longtemps à Chicago. Elle laissa peu de parents pour la pleurer.

    
Certains prétendaient que Mary Hogan avait des relations avec le Milieu, d'autres affirmaient qu'elle avait été une mère maquerelle célèbre à Chicago et avait acheté le bar grâce à ses gains mal acquis. Quoi qu'il en soit, Mary Hogan avait fait forte impression sur les familles de fermiers conservatrices et très croyantes de la région. Si les hommes aimaient l'atmosphère chaleureuse et légèrement équivoque de la taverne, leurs femmes ou leurs petites amies la condamnèrent immédiatement.
     L'après-midi du 8 décembre 1954, par une journée d'hiver glaciale, un fermier nommé Seymour Lester s'arrêta à la taverne pour prendre un verre. Il trouva l'endroit ouvert mais désert. Les lumières étaient toutes allumées. Ses appels pour être servi restant sans réponse, il commença à s'interroger. Ses soupçons furent confirmés lorsqu'il aperçut une large flaque de sang près de la porte menant à l'arrière-salle. Persuadé, cette fois, qu'il y avait quelque chose de vraiment anormal, il se précipita sur le téléphone pour demander de l'aide. Le shérif du comté, Harold S. Thompson, arriva rapidement sur les lieux accompagné de quelques adjoints.
Piste   sanglante
 
     Une fouille rapide du bar révéla que celui-ci était vide. La voiture de Mary Hogan fut retrouvée garée derrière le bâtiment, à sa place habituelle. La tache de sang avait commencé à sécher. Elle était traversée de longues traces, comme si un corps avait été traîné sur le sol. Non loin de là se trouvait une douille de cartouche de fusil de calibre 32.
     Une piste sanglante menait de la flaque à la porte de derrière, puis, dehors, jusqu'au parking réservé à la clientèle, où elle s'interrompait brutalement à côté de traces de pneu profondes et récentes que le shérif identifia comme étant celles d'une cammionnette découverte. La conclusion s'imposait : quelqu'un, presque certainement Mary Hogan, avait été abattu là où il se tenait, et son corps avait été traîné à l'extérieur jusqu'à un véhicule qui attendait.

Elmo Ueeck, fermier et propriétaire d'une scierie de Plainfield, taquina Gein au sujet de Mary Hogan. Trois ans plus tard, il allait devenir témoin direct contre l'homme dont il s'était moqué.

     Pourtant, il n'y avait pas de traces de lutte, et aucun mobile apparent n'expliquait le crime : la caisse enregistreuse était pleine et rien n'avait l'air de manquer. Thompson demanda l'aide du laborat-oire criminel de l'État, à Madison, à quelques 90 km de là. Mais l'examen médico-légal ne fit que confirmer les conclusions du shérif quant à la manière dont le crime avait été commis, sans apporter d'autres éclaircissements sur l'affaire. Des recherches effectuées à Chicago au domicile précédent de Mary Hogan, et une fouille méticuleuse, ferme après ferme, de Plainfield et de ses environs ne donnèrent aucun résultat.
     La nouvelle de ce mystère se répandit rapidement et, les semaines passant sans que les autorités produisent le moindre nouvel indice, la
question "Qu'est-il arrivé à Mary Hogan ?" devint le centre des conversations dans toute la région.
     Environ un mois après la disparition de la tenancière, une étrange discussion eut lieu entre le propriétaire respecté d'une scierie de Plainfield, Elm Ueeck, et Edward Gein, l'homme à tout faire auquel il avait fait appel pour réparer quelques clôtures.
     Gein vivait depuis l'âge de sept ans dans une ferme située à 9 km à l'ouest de Plainfield. Entièr-
ement entourée de bois, de champs et de marais, la ferme elle-même, construite en L, était un austère bâtiment de bois blanc à deux étages que Gein habitait désormais seul. Gein était un personnage timide, gauche et peu sociable. Après la mort de sa mère, en 1945, il avait reçu une allocation du gouvernement américain pour laisser ses terres en jachères. La ferme commençant à se délabrer, Gein arrondissait ses revenus en faisant des travaux divers pour ses voisins de Plainfield.
     Cet homme menu et de petite taille, aux rares cheveux blonds et aux yeux bleus délavés, était encore célibataire à plus de cinquante ans. Les gens le trouvaient généralement serviable, travail-leur et digne de confiance, mais quelque peu
excentrique. Ueeck ne se préoccupait guère de Gein, bien qu'il le connût depuis des années. Comme les autres habitants de Plainfield, il trouvait extrêmement difficile de discuter avec lui. En général, Gein détournait nerveusement le regard en s'enfermait, l'air sot, derrière un sourire de guingois, ou bien faisait un comment-
aire si étrange et inapproprié qu'il laissait son
interlocuteur sans voix.
Étranges   commentaires
 
     Mais cette fois, l'occasion était trop belle et Ueeck ne résista pas à la tentation de taquiner Gein au sujet de Mary Hogan. Gein était toujours particulièrement mal à l'aise lorsque la conversation portait sur les femmes. A plusieurs reprises, Ueeck avait vu Gein à la Hogan's Tavern, assis seul au bout du bar, agrippé à son verre de bière. Ueeck et ses amis avaient remarqué la façon dont Gein restait assis là, à regarder fixement la propriétaire du bar, perdu dans ses pensées. Ils en avaient déduit, avec un amusement à peine dissimulé, qu'Eddie était amoureux de Mary Hogan.


Des curieux scrutent l'intérieur de la "maison hantée". A un moment, Gein avait essayé de la vendre. Quand les Foster la visitèrent, Mme Foster demanda en plaisantant : "Est-ce là que vous gardez vos têtes réduites ?". Gein avait alors répondu "Non, elles sont dans cette autre pièce."   

     Ueeck commença par dire à Gein que s'il s'était déclaré un peu plus clairement, Mary Hogan serait peut-être en ce moment même dans sa ferme en train de lui préparer son dîner, au lieu d'être portée disparue, présumée assassinée. Il se rappela par la suite que "Eddie roulait les yeux et remuait le nez comme un chien qui renifle un putois", tout en se dandinant d'une jambe sur l'autre. Puis Gein avait affiché un de ses sourires habituels et, après quelques secondes de réflexion, avait rétorqué : "Elle n'a pas disparue,
elle est à la ferme en ce moment même." Ueeck ne releva pas la remarque, pensant que Gein essayait de faire de l'humour. Gein réitéra cette affirmation devant plusieurs habitants de Plainfield dans les semaines qui suivirent, mais aucun d'entre eux ne le prit le moins du monde au sérieux. Après tout, c'était bien le genre de bizarrerie dont il était coutumier.

SES ORIGINES

L'enfance de Gein est l'histoire d'un esprit innocent
brisé par le puritanisme d'une mère indigne.
Pourtant le fils dépendait si totalement de sa mère
qu'il sembla incapable d'accepter sa mort.
Il scella sa chambre comme un temple dédié à sa mémoire.
Hanté par l'image spectrale de la vieille femme
dans son rocking-chair, Gein ne put jamais
avoir une relation saine avec une femme.

 
     Augusta Gein donna naissance à Edward Theodore le 27 août 1906. Elle avait prié pour que ce soit une fille, car une sévère éducation luthérienne, puis son mariage avec un alcool-
ique, George Gein, l'avaient amené à haïr les hommes. De l'union sans amour entre Augusta et George était déjà né un premier fils, Henry.
     Augusta se jura qu'Edward Theodore ne deviendrait jamais un de ces hommes luxurieux et irréligieux qu'elle voyait autour d'elle. Dès le premier instant, la vie d'Edward Gein fut entièrement dominée par sa mère.
     Augusta tenait l'épicerie familiale à La Crosse, ville du Wisconsin, pendant que son mari gaspillait son temps et son argent dans les bars. C'était une femme dure et autoritaire, toujours prompte à châtier et incapable de donner à ses fils l'amour maternel dont ils avaient besoin.

     En 1913, les Gein changèrent de vie et devinrent fermiers. Ils passèrent d'abord un an dans une ferme laitière à une soixantaine de kilomètres à l'est de La Crosse, puis s'installèrent dans une ferme isolée située juste en dehors de Plainfield.
     Pendant les seize premières années de sa vie, l'école fut le seul contact de Gein avec le monde extérieur. Mais, dès qu'il se faisait un ami, sa mère trouvait à redire à la famille du garçon. A ses yeux, tout le monde représentait une menace pour la pureté morale de son fils. Elle citait conti-
nuellement les Écritures, répétant à son fils que les garçons étaient tous des pécheurs, à l'image de leurs pères.
     Gein s'éloigna peu à peu des autres enfants. Ses camarades de l'époque se
souvenaient de lui comme d'un enfant
timide et frêle.
     Le jeune Edward afffirmait aussi avoir
horreur du sang et des mises à mort, un
spectacle courant dans une communauté
rurale où la chasse et l'élevage du bétail
sont des activités fondamentales. Mais d'un
autre côté, l'enfant dévorait avidemment
des bandes dessinées d'horreur.
     George Gein mourut en 1940. Edward et
Henry durent prendre des emplois pour
compléter les revenus de la famille. Gein
admirait son frère, mais leurs relations se
dégradèrent lorsqu'Henry suggéra que
l'attachement d'Edward pour leur mère
n'était peut-être pas sain.
     Au printemps 1944, Henry mourut dans
des circonstances mystérieuses. Alors
qu'Edward et lui combattaient un incendie près de leur ferme, ils se perdirent de vue dans les flammes. Lorsque l'incendie fut éteint, Edward sut pourtant conduire directement l'équipe de recherche à l'endroit où Henry était étendu mort. Celui-ci portait des contusions au front, mais sa mort fut attribuée à une asphyxie par la fumée.
     Peu après la mort de son fils aîné, Augusta Gein s'effondra, victime d'une attaque. 
Pendant les douze mois suivants, Edward la soigna avec amour. Mais elle décéda malgré tout en décembre 1945.
     A l'âge de trente-neuf ans, Gein se retrouvait seul dans un monde qu'il comprenait à peine. En l'espace de cinq ans, il allait se retirer dans un autre monde, un monde où la froideur, la violence et la répression qui avaient marqué son enfance allaient se mêler effroyablement.

II      MEURTRE


Tandis que les hommes de Plainfield (ci-dessus) profitaient d'une fructueuse saison de chasse, en novembre 1957, Edward Gein était occupé à tuer une commerçante de la ville.

Trois ans après la disparition de Mary Hogan,
le jour de l'ouverture de la chasse aux cerfs dans le Wisconsin,
Edward Gein partit chasser de son côté.
Mais sa proie était une citoyenne de Plainfield.

 
     Comme Mary Hogan, Bernice Worden était une femme potelée et bien charpentée d'une soixantaine d'années. C'était aussi une femme d'affaires très avisée. Contrairement à la tenancière de la Hogan's Tavern, cette pieuse méthodiste avait une réputation pratiquement sans taches parmi ses concitoyens de Plainfield.
     En 1931, à la suite de la mort de son mari, Bernice Worden avait repris à son compte le magasin Worden de quincaillerie et d'outillage. Avec l'aide de son fils Frank, elle en avait fait une affaire florissante. Tous les fermiers de la région faisaient appel à elle à un moment ou à un autre, pour se fournir en machines agricoles aussi bien qu'en cartouches et fusils. Les rares fois où elle ne travaillait pas, on la trouvait généralement auprès de ses petits-enfants, qu'elle adorait.

     Le matin du samedi 16 novembre 1957, elle ouvrit comme d'habitude le magasin, s'attendant à ce que les affaires de la journée démarrent lentement : c'était l'ouverture de la chasse aux cerfs dans le Wisconsin et la saison durait neuf jours. La plupart des hommes de Plainfield, y compris son fils Frank, étaient déjà dehors dans les bois environnants. La ville était déserte et la plupart des boutiques fermées, mais Bernice Worden avait décidé de garder son magasin ouvert, pensant qu'il allait y avoir une arrivée régulière de chasseurs désireux de se réapprovisionner.
     Elle eut bientôt un client. Peu après 8h30, la petite silhouette d'Edward Gein fit son apparition dans le magasin de quincail-
lerie, agrippant un broc vide. Comme tout le monde à Plainfield, Bernice Worden avait du mal à voir en Gein autre chose qu'un nigaud mais, ces derniers temps, il s'était mis à l'ennuyer régulièrement pour des pécadilles, sans acheter quoi que ce soit. La veille encore, Gein était passé au magasin pour vérifier le prix de l'antigel. Après avoir reçu une réponse, il était resté planté là plusieurs secondes, un sourire idiot aux lèvres, avant de s'éloigner d'un pas traînant dans l'obscurité.
     Bernice Worden avait été interloquée, quelques semaines auparavant, quand Gein, de façon inattendue, était passé au magasin et l'avait invitée à venir faire du patin à
glace avec lui. Il avait laissé échapper sa proposition nerveusement, l'air de plaisanter à moitié. Elle l'avait simplement ignoré. Pourtant, elle avait été suffisamment déconcertée pour raconter l'incident à son fils et lui signaler que depuis lors, elle avait vu plusieurs fois Gein dans sa camionnette qui la fixait depuis l'autre côté de la rue.

Seule  avec  Gein
 
     La scène qui se déroula au magasin Worden, le 16 novembre, peut être tant bien que mal reconstituée à partir des souvenirs confus de Gein, recueillis par la suite. A part Bernice Worden et Gein, il n'y avait personne dans les parages. Bernice Worden alla remplir le broc d'antigel puis revint dans le magasin pour faire un reçu. Gein paya et partit. Il revint peu après.
     Décrochant un fusil de chasse du râtelier, il expliqua à Mrs. Worden qu'il pensait remplacer son vieux fusil calibre 22 contre un modèle plus récent pouvant tirer différentes cartouches. Elle déclara que l'arme décrochée était une bonne affaire et poursuivit son travail. Soudain, alors qu'elle tournait le dos, Gein plongea sa main dans sa poche et glissa une cartouche  dans le fusil, faisant semblant d'inspecter le mécanisme. Un moment plus tard, il mettait Bernice Worden en joue et tirait.
 
Premier   témoin
 
Au moment du meurtre, la rue principale de Plainfield (ci-dessus) était déserte. Toute la ville étant à la chasse aux cerfs, Gein était assuré d'être tranquille pour commettre son crime. Il utilisa la camionnette de Bernice Worden (à droite) pour emmener son corps.

     Entre 8h45 et 9h30, ce même matin, Bernard Muschinski, le pompiste d'une station-service située de l'autre côté de la rue, remarqua la camionnette de livraison de Bernice Worden sortant du garage derrière le bâtiment. La camionnette s'éloigna sur la route. Il n'y accorda guère d'importance sur le moment. Mais quelques heures plus tard, il passa à pied devant le magasin et fut surpris de voir que les lumières étaient encore allumées. La porte de
devant était verrouillée et Muschinski supposa que Mrs Worden avait oublié d'éteindre.
     La personne qui aperçut Gein ensuite fut Elmo Ueeck, le propriétaire de la scierie. Il venait d'abattre un cerf sur les terres de Gein et sortait en hâte de la propriété, avec son gibier attaché à l'avant de sa voiture. Ueeck fut consterné de voir la Ford de Gein dévaler la route dans sa direction, car il était sûr que même Edward trouverait à redire devant cette chasse sans autorisation sur ses terres. Mais lorsque les deux voitures se croisèrent, Gein lui fit simplement un geste amical de la main. Ueeck remarqua aussi que Gein conduisait bien plus vite qu'à l'accoutumée.
     Plus tard, vers midi, Ueeck fut pris de remords et retourna à la ferme de Gein pour lui donner des explications au sujet du cerf et lui présenter ses excuses. Il trouva Gein à côté de sa voiture montée sur cric, en train de remplacer ses pneux-neige par des pneus d'été, ce qui lui parut bizarre, le sol étant déjà recouvert de plus de cinq centimètres de neige. Gein se montra amical et ne sembla pas être ennuyé outre mesure par la capture du cerf.
     Dans l'après-midi, Gein reçut la visite d'un autre de ses voisins, son jeune cousin Bob Hill accompagné de sa sœur Darlène. Gein sortit brusquement de la maison pour les accueillir, les mains couvertes de sang. Il expliqua qu'il était en train de vider un cerf. Bob Hill fut intrigué car Gein avait toujours affirmé que les travaux de boucherie le dégoûtaient et qu'il se trouvait mal à la seule vue du sang. Bob Hill demanda à Gein s'il accepterait de les conduire en ville où ils devaient acheter une nouvelle batterie. Gein se montra plein d'empressement, et après être retourné dans la maison pour se laver les mains, il les conduisit jusqu'à sa voiture et ils partirent en ville.
      La nuit commençait à tomber quand Gein et ses deux amis rentrèrent à l'épicerie des Hill, située non loin. La mère de Bob Hill, Irène, invita Gein à dîner. Il accepta sans se faire prier.
     Peu avant le coucher du soleil, Frank, le fils de Bernice Worden, rentrant bredouille de sa journée de chasse, s'arrêta à la station d'essence de Plainfield, près du magasin familial. Il fut surpris lorsque le pompiste, Muschinski, lui dit que la camionnette de livraison avait quitté le magasin tôt le matin même. Frank s'attendait à trouver sa mère encore derrière son comptoir, sur le point de fermer boutique. Les deux hommes allèrent vérifier sur place. La porte était bien verrouillée, comme l'avait indiqué Muschinski, et les lumières toujours allumées. Frank partit chercher un double des clefs.

 
" C'est une région sauvage.
Une région qui pourrait
dissimuler sa violence
pendant des années et ne
jamais dévoiler son secret "
ARGUS DE WAUSHARA

 
     Entre autres fonctions, Frank Worden exerçait celle de shérif adjoint de Plainfield. Comme sa mère, c'était une personne stable et sérieuse. Mais lorsqu'il déverrouilla la porte du magasin et qu'il pénétra à l'intérieur, il eut toutes les peines du monde à se contrôler : la caisse enregistreuse avait disparu, arrachée de l'endroit où elle avait sa place sur le comptoir. Au fond du magasin, une mare de sang achevait de sécher.
Le shérif Art Schley (à gauche) avait été employé par la police routière de Waushara avant d'être nommé shérif, à trente-deux ans. L'affaire Gein, sa première affaire de meurtre, s'avéra être une éprouvante initiation à ce genre de travail.

    
Frank Worden téléphona au shérif du comté, Art Schley, à Wautoma, à vingt-cinq kilomètres de là, puis continua à fouiller le magasin à la recherche de sa mère. Quand le shérif et un des adjoints arrivèrent, un quart d'heure plus tard, il avait déjà tiré ses conclusions.
     "Il lui a fait quelque chose", annonça Worden avec assurance.
     "Qui ?" demandèrent-ils.
     "Ed Gein", répondit Worden.
     Frank Worden n'avait pas perdu son temps en attendant Schley et son adjoint. Plusieurs détails lui étaient revenus à l'esprit : les conversations qu'il avait
eues avec sa mère au sujet de Gein ; comment Edward s'était mis depuis peu à la regarder fixement ; comment il l'avait importunée pour qu'elle sorte avec lui, et comment, pas plus tard que le soir précédent, il s'était arrêté au magasin pour demander le prix de l'antigel. Worden se rappela aussi que Gein lui avait demandé s'il allait chasser le lendemain. Avait-il voulu s'assurer qu'il aurait le champ libre ?

 

 
 
     Les soupçons de Worden furent confirmés par la découverte, à côté de la flaque de sang, d'un reçu rédigé de la main de sa mère pour deux litres d'antigel. Il était au nom d'Edward Gein. Le shérif Schley lança une alerte générale par radio, pour que Gein soit amené pour interrogatoire.
     Gein venait à peine de finir son dîner avec les Hill lorsqu'un voisin fit irruption pour annoncer la nouvelle de la disparition de Bernice Worden. Le seul commentaire que fit Gein fut : "Ce devait être quelqu'un avec pas mal de sang-froid."
     Irène Hill se rappela plus tard avoir dit à Gein en plaisantant : "Comment se fait-il qu'à chaque fois que quelqu'un se fait taper dessus et enlever, tu sois toujours dans le coin ?" Gein avait simplement haussé les épaules et fait un sourire de travers.
     Bob Hill suggéra à Gein de l'accompagner en voiture jusqu'à la ville pour voir ce qui s'y passait. Gein accepta joyeusement, et les deux hommes sortirent dans la cour glaciale recouverte de neige. Au moment où Gein faisait démarrer sa voiture, l'agent Dan Chase et le shérif adjoint Poke Spees arrivèrent.
     Chase et Spees avaient trouvé la ferme de Gein déserte et verrouillée quand ils y étaient parvenus quelques minutes plus tôt. Tout le monde sachant que Bob Hill était l'un des rares amis d'Edward Gein, le magasin des Hill était l'étape suivant la plus logique. L'agent Chase traversa vivement la cour et frappa à la vitre de la voiture de Gein juste au moment où celui-ci allait repartir. 

Interrogatoire   de   Gein
 
     Gein reçut l'ordre de sortir de sa voiture et fut escorté jusqu'au véhicule de police pour y être interrogé. Chase lui demanda de lui raconter ce qu'il avait fait dans la journée. Gein s'exécuta, puis Chase lui demanda de répéter son histoire une deuxième fois. Des contrad-
ictions flagrantes apparurent immédiatement entre les deux versions. Chase le luit dit.
     "C'est un coup monté contre moi", rétorqua Gein.
     "Un coup monté au sujet de quoi ?" demanda Chase.
     "Et bien, à propos de Mrs. Worden, répondit Gein.
     "Comment ça à propos de Mrs. Worden ?"
     "Et bien, elle est morte n'est-ce pas ?" répondit Gein.
     "Morte !" s'exclama Chase. "Comment sais-tu qu'elle est morte ?"
     "On me l'a dit", dit Gein. "Ils me l'ont dit là dedans."
     Dès que le shérif Schley apprit par radio que son suspect principal avait été appréhendé, il se rendit à la ferme de Gein avec le capitaine Lloyd Schoephoerster appartenant au bureau du shérif du comté voisin.
     La porte arrière, donnant dans la cuisine qui avait été ajoutée au rez-de-chaussée, céda facilement. Les deux hommes allumèrent leurs torches et entrèrent prudemment. Un moment plus tard, Art Schley sentit quelque chose frôler son épaule droite. D'instinct, il se retourna et éclaira l'objet de sa torche. Un spectacle abominable lui coupa le souffle.
     Là, devant lui, le corps décapité d'une femme pendait au plafond, un large trou béant à l'endroit où son estomac aurait dû se trouver. La première pensée qui vint à Schley fut que le corps avait été troussé comme une volaille, écorché et préparé comme un animal de boucherie.

 

 

EFFETS PERVERS

Les livres préférés de Gein étaient des
récits sadiques teintés de sexe.
Son cas soulève le problème
des effets potentiellement pervers
de telles lectures.

 

     Des revues telles que Shock (ci-contre), qui s'attardaient complaisamment sur des actes de tortures, ont peut-être inspiré Gein. En retour, Gein inspira des films tel que Massacre à la Tronçonneuse (ci-dessus).

     Quand les policiers forcèrent l'entrée de la ferme de Gein, ils trouvèrent, au milieu d'une horreur hélas bien réelle, des piles entières de livres et de magazines à sensation, d'horreur et de pornographie. Ils réalisèrent immédiatement combien la fiction s'était transformée en une épouvantable réalité dans le salon de Gein. Cette "littérature" n'avait pas réellement induit les affreuses perversions de Gein - sa folie en était responsable - mais elle l'avait sans doute inspiré dans le développement de ses fantasmes malsains.
     Les policiers trouvèrent des caisses entières de bandes dessinées portant des titres tels que Contes des cryptes ou Caveaux de l'horreur. Cette effrayante collection était complétée par des revues pornographiques.
     Sur les étagères se trouvaient des ouvrages racontant par le menu les atrocités de guerre des nazis. L'un deux portait sur Irma Grese, une adolescente, officier dans les S.S., qui prenait plaisir à expédier dans les chambres à gaz les femmes et les enfants des camps de concentration. Ces livres côtoyaient de nombreuses histoires d'aventure sur les cannibales, les chasseurs de têtes, et sur les exploits de Burke et Hare, des déterreurs de cadavres qui sévissaient au XIXè siècle à Édimbourg.
     D'épais volumes d'anatomie, des manuels de médecine et de chirurgie se trouvaient également sur les étagères.
     Gein fut peut-être influencé par ces documents, mais il ne pouvait soupçonner que, longtemps après son incarcération, son cas allait influencer à son tour plusieurs cinéastes et écrivains à sensation. Psychose, le film de Hitchcock, basé sur un roman de Robert Bloch, aborda le sujet avec un certain sérieux. D'autres films ont exploité le filon avec moins de retenue.

Ultras-violents
 
     En 1977, le film Massacre à la Tronçonneuse, mis en scène par Tobe Hopper, montra avec réalisme la perversion sexuelle et la violence sur grand écran. Cela provoqua un tollé général. Avec ce film s'ouvrait l'ère d'un cinéma ultra-violent, où une violence gratuite évince totalement le développement de l'intrigue et des personnages.
     Selon leurs auteurs, les films Les Bouchers assoiffés de sang, Massacre au couperet, et Le tueur à la perceuse étaient tous basés sur l'histoire du Boucher de Plainfield. De nombreux films similaires ont été tournés depuis, qui sont pour la plupart disponibles sans restriction en vidéocassettes et peuvent ainsi être regardés par n'importe qui.
     En Angleterre, en 1985, un rapport fondé sur trois ans d'étude, "La Vidéo, la violence et les enfants", dévoilait que plus de la moitié des enfants interrogés avaient vu au moins une vidéocassette interdite au moins de dix-hui ans.

 
Jeux cruels
 
    
     Le rapport trouvait des similitudes alarmantes entre les jeux violents auxquels se livrent les enfants dans les cours de récréation et la violence que l'on peut voir dans les vidéocas-
settes à caractère violent ou pornographique. Il démontrait que si la plupart des enfants subissaient les effets de tels films à court terme seulement, plusieurs d'entre eux étaient affectés de façon permanente.
     Les enfants peuvent aussi avoir entre les mains des magazines pornographiques dans lesquels les femmes sont brutalisées et traitées de manière dégradante. On y trouve des images de personnages masqués et vêtus de cuir noir, ligotés et baillonnés, ou brandissant des fouets. A l'époque de Gein, ces images étaient la plupart du temps des illustrations grossières. Ce sont aujourd'hui des photographies, souvent très explicites.

 
Vente   libre
 
     Les partisans de la vente libre des vidéocassettes à caractère violent ou pornographique et de la pornographie "semi-violente" continuent  d'affirmer, comme ils le font depuis des années, qu'il n'y a jamais eu aucune preuve concrète indiquant que de tels produits puissent corrompre l'esprit d'individus équilibrés et émotionnellement stables, ou qu'ils puissent aucunement modifier le processus mental d'un psychopathe résolu à tuer. Mais à la lumière de l'affaire Gein, qui peut en être aussi sûr ?
 
III      LA  MAISON  DE  L'HORREUR



La ferme de Gein apparut aux enquêteurs comme
un mélange de porcherie, d'abattoir et de catacombes,
le terrier d'une créature qu'ils ne pouvaient
reconnaître comme un de leurs semblables.

 
     Il fallut un certain temps aux deux policiers pour se ressaisir et pour comprendre pleinement l'horreur de ce qu'ils venaient de voir. Finalement, Schoephoerster retourna à la voiture et parvint à demander de l'aide par radio. Puis les deux hommes rassemblèrent leurs forces et se préparèrent à pénétrer à nouveau dans la maison.
     Un deuxième coup d'œil jeté au corps révéla que celui-ci était accroché à une branche taillée en pointe et passée à travers les tendons d'une des chevilles, l'autre pied ayant été percé en dessous du talon et attaché à la perche avec du fil de fer. Le corps lui-même avait été incisé du sternum à la base de l'abdomen, et la cavité interne vidée de ses entrailles luisait comme si elle avait été raclée et nettoyée. Il n'y avait pas de tête.
     Schley n'avait vu un tel spectacle qu'une seule fois auparavant, dans un abattoir. Le cadavre - Schley était presque sûr qu'il s'agissait de celui de Bernice Worden - avait été abattu et préparé habilement pour la boucherie comme s'il s'agissait d'une pièce de bœuf.
     Même sans tenir compte de la présence de ce corps, il était difficile de croire qu'un être humain puisse vivre dans de telles conditions. Partout, des tas de déchets nauséabonds pourrissaient ; des meubles, des ustensiles de cuisine et des vêtements sales et en lambeaux avaient été jetés au hasard. Des boîtes en carton, des bidons vides et des outils rouillés jonchaient le sol. La pièce semblait avoir été occupée par une bête sauvage qui aurait laissé une traînée d'immondices dans son sillage.


L'annexe, où le cadavre de Bernice Worden fut
trouvé. Avec une prétention à la distinction
inopportune, Gein appelait cette annexe sa
"cuisine d'été". C'est là et dans la chambre de
Gein que tous les restes humains furent
trouvés.
     Promenant leur torche ici et là, Schley et Schoephoerster découvrirent d'autres choses
étranges : des magazines policiers et des
bandes dessinées d'épouvante empilés dans
des boîtes ou jetés par terre, un évier rempli
de sable, des chewing-gums mâchés dans une
vieille boîte à café, une série de dentiers exp-
osés sur le dessus de la cheminée. Celui qui
avait rassemblé cette collection était à l'évid-
ence sous l'influence d'une force répugnante
dépassant, et de beaucoup, l'entendement
des deux policiers.
     La ferme de Gein fut bientôt envahie par
les voitures de police. Dans un premier temps, la fouille se poursuivit à la lumière des
torches et des lampes à pétroles. Puis un
générateur fut amené et, tandis que la maison
était inondée par la lumière éblouissante des
lampes à arc de la police, l'horreur de
l'intérieur de cette ferme apparut dans toute son étendue.
     Plusieurs crânes étaient éparpillés dans la cuisine, certains intacts, d'autres sciés en deux et utilisés comme bols grossiers. Deux crânes avaient même été utilisés pour décorer les montants du pied de lit. La couche de Gein dans le coin-chambre attenant était suppurante et jonchée de haillons. Après inspection, les policiers se rendirent compte que le siège d'une des chaises de la cuisine était composé de lambeaux de peau humaine. Ils trouvèrent d'autres objets abominables : des abats-jours, des corbeilles à papier, un tambour, un bracelet, le foureau d'un couteau de chasse, tous fabriqués à partir de restes humains.
     Le pire restait à venir; En furetant, les enquêteurs découvrirent des boîtes contenant divers morceaux de corps humains, chacun ayant été prélevé sur un cadavre non identifié avec l'habileté et la précision d'un chirurgien ; une sorte de tricot de corps fabriqué à partir de la peau d'un tronc de femme et plusieurs paires de "jambières" en peau humaine.
     Mais le plus horrifiant pour les policiers fut la découverte d'une collection de neuf masques mortuaires : de véritables "têtes réduites" comme celles qu'on associe habit-
uellement aux récits les plus affreux de cannibalisme tribal. Chacun des neuf masques était constitué du visage et du cuir chevelu de la victime - cheveux intacts - qui avaient été détachés du crâne et remplis avec des chiffons ou des journaux.

Témoins   silencieux
 
     Quatres de ces masques étaient accrochés aux murs autour du lit de Gein, témoins silencieux des bizarres fantasmes nocturnes auxquels il s'aband-
onnait. Les autres furent trouvés dans des sacs en papier, des vieux pots et des sacs en toile éparpillés autour du lit et dans la cuisine. Certains avaient été traités avec de l'huile pour que la peau reste souple, et l'un d'entre eux portait encore des traces de rouge à lèvres. Un autre, réduit, mais qu'un des policiers présents put reconnaître, était celui de Mary Hogan, disparue trois ans plus tôt.
     Le groupe de policiers, les experts en médecine légale et les policiers en civils erraient, livides d'horreur et muets de stupéfaction. Bon nombre d'entre eux servaient dans la police depuis longtemps et avaient vu toutes sortes de crimes épouvantables dans leur vie, mais rien n'aurait pu les préparer à cette maison pleine de cadavres, d'ossements et autres restes humains.
     Malgré le froid âpre de cette nuit de novembre dans le Wisconsin, la puanteur était indescriptible. Les policiers responsables de la fouille trouvèrent le cœur de Bernice Worden dans un sac en plastique devant le fourneau de la cuisine, et ses entrailles encore chaudes enveloppées dans un vieux costume non loin. Ils continuèrent néanmoins à fouiller, déterminés à trouver la seule preuve qui jusque-là leur avait échappé : la tête du cadavre pendu aux poutres.
     Au-delà de la cuisine et du coin chambre qui donnait sur cette cuisine se trouvait le rez-de-chaussée de la maison à proprement parler. La porte en était solidement barrée avec des planches, mais en quelques minutes les enquêteurs en avaient arraché suffisamment, à l'aide d'un levier, pour pouvoir entrer dans le salon principal.
     Les rayons de leurs torches balayèrent une pièce en ordre et parfaitement normale, dans laquelle la seule chose inhabituelle était l'épaisse couche de poussière qui recouvrait tout, depuis les meubles jusqu'aux bibelots au-dessus de la cheminée. C'était un mausolée. La pièce avait été scellée et conservée par Gein exactement telle qu'elle était le jour où, douze ans plus tôt, sa mère était morte.
     Dans la cuisine, un médecin légiste qui tentait de dresser la liste des restes macabres aperçut soudain de la buée qui s'échappait d'un vieux sac d'aliments pour animaux posé sur un tas d'ordures dans le coin de la pièce. Tirant le sac au milieu de la cuisine, il l'ouvrit et y trouva ce que tout le monde cherchait.


   Un policier trie les détritus de la cuisine, décrite par l'écrivain Harold Schechter comme "le décor d'un dérangement mental".
La tête de Bernice Worden, retrouvé par le médecin légiste ?


Trophée   macabre
 
     La tête de Bernice Worden était couverte de terre, et du sang était congelé autour des narines. Cela mis à part, elle était intacte. L'expression du visage, de façon rassurante, semblait paisible, mais les deux enquêteurs restèrent interdits en voyant que des crochets avaient été passés au travers des oreilles et qu'un cordon reliait les deux crochets.
     Gein avait visiblement eu l'intention d'accrocher au mur la tête de Bernice Worden, avec les autres trophées macabres de sa chambre à coucher.
     La nuit s'acheva.
     Le cadavre de Bernice Worden fut descendu des chevrons et étiqueté en même temps que les autres restes humains, qui furent ensuite empaquetés dans des sacs en plastique et expédiés au dépôt mortuaire de Plainfield pour qu'une autopsie puisse être effectuée.
     Personne, parmi les individus présents, ne pouvaient dire combien de corps avaient fourni les têtes, la peau et autres parties trouvées dans la ferme, mais il était clair qu'en plus de Mary Hogan et Bernice Worden, il y avait de nombreux autres cadavres.
     La grande question qui planait encore dans l'esprit des policiers abasourdis et écœurés tandis qu'ils quittaient la ferme de Gein cette nuit-là était :
quelle était l'identité des autres cadavres ?

IV     EXHUMATION



Les policiers abasourdis apprirent que Gein n'était pas
seulement un meurtrier : il avait déterré des cadavres pour
les soumettre à des traitements inconcevables. Les
recherches menées dans le cimetière de Plainfield
confirmèrent ces profanations.

 
     Tandis que la police faisait ses macabres découvertes, Edward Gein attendait à la prison du comté de Wautoma, sous la surveillance des deux policiers qui l'avaient arrêté : Chase et Spees. A 2h30 du matin, le dimanche 17 novembre, le shérif Schley, de retour des lieux cauchemardesques, commença à l'interroger.
     Pendant les douze heures qui suivirent, Gein fut interrogé presque continuellement. Il garda un silence obstiné. Entre-temps, le premier rapport d'autopsie concernant Bernice Worden confirma qu'elle était morte d'une blessure à la tête causée par une balle de calibre 22.
     Ce n'est que le matin suivant, le lundi 18 novembre, que Gein sortit de son mutisme. Il déclara avoir tué Mrs. Worden d'un coup de fusil, avoir chargé son cadavre dans sa camion-
nette à elle, et l'avoir emmené jusqu'à un bois de pins non loin de la ville. Il avait alors laissé la camionnette, était rentré à pied en ville pour y prendre sa voiture, puis était retourné dans la forêt. Il avait enfin transféré le cadavre de la camionnette à sa voiture puis l'avait emmené jusque chez lui, où il l'avait ligoté et dépecé.

 
Cannibalisme ?


Tandis que Gein avouait, les obsèques de Bernice Worden se tenaient à l'église méthodiste
de Plainfield. Sa dépouille mortelle fut enterrée au cimetière de Plainfield.

 
     Le procureur Earl Kileen communiqua ces détails à la presse dans la déclaration qu'il fit ce matin-là. Il se livra à quelques spéculations, notamment sur la façon dont le cadavre de Mrs. Worden avait été mutilé - qui, d'après lui - "faisait penser à un acte de cannibalisme".
     Kileen en personne alla s'entretenir avec Gein, qui déclara ne se rappeler d'aucun des
détails du meurtre de Bernice Worden parce qu'il était "hébété à ce moment-là".


 

 
     L'interrogatoire se poursuivant, Gein déclara que tout cela était un accident. Pourquoi
alors, demanda Kileen, avait-il volé la caisse enregistreuse ? Gein répondit qu'il avait "espéré pouvoir la démonter pour examiner le mécanisme" et voir comment fonctionnait la machine.
     Kileen insista pour savoir ce qu'il avait fait avec le corps. Gein se mit alors à décrire comment il avait ligoté celui-ci et l'avait saigné dans un seau, puis avait enterré le sang frais dans un trou creusé dans le sol.
     Lorsqu'on lui demanda s'il pensait à ce moment-là être en train de dépecer un cerf, Gein répondit : "Je pense que c'est la seule chose que je pouvais avoir en tête."
     Pressé d'expliquer d'où venaient les nombreux crânes, lambeaux de peau et autres restes humains trouvés dans la ferme, Gein soutint obstinément qu'à sa connaissance il n'avait tué personne en dehors de Bernice Worden. Il déclara aux policiers abasourdis s'être procuré les corps dans des cimetières.
     Au cours des années précédentes, il avait plusieurs fois senti le besoin soudain de déterrer des cadavres. Généralement, il connaissait les victimes de leur vivant, et avait appris leur mort par le journal. Il se rendait alors en voiture au cimetière, la nuit même de l'enterrement, retirait le corps de la tombe fraîchement creusée, et remplissait à nouveau celle-ci pour la laisser, comme il le décrivit joyeusement, en "parfait état".
     Gein admit qu'à de nombreuses reprises il avait paniqué en atteignant la tombe et était rentré tout droit chez lui en voiture. Il ne se souvenait pas du nombre exact de corps qu'il s'était ainsi procurés, et s'excusa à nouveau en prétextant qu'il était "hébété". Quand on lui demanda s'il avait jamais eu des relations sexuelles avec les cadavres volés - une question très présente à l'esprit des interrogateurs - il secoua la tête et cria " Non ! Non !", puis ajouta qu'ils "sentaient trop mauvais". Gein rejeta aussi énergiquement les accusations de cannibalisme.

 
Inculpation   pour   vol
 
  Bob Hill, suffoqué d'horreur à la vue du dépotoir qu'était devenue la chambre de son cousin Edward Gein.

     Le lundi après-midi, Edward Gein passa en jugement, inculpé de vol à main armée de la caisse du magasin Worden. Les services du procureur sou-
haitaient en effet renvoyer à plus tard l'inculpation pour meurtre, lorsque l'expertise médico-légale serait terminée. Le procureur désirait aussi soumet-
tre le prisonnier au détecteur de mensonges. Après le jugement, Gein fut emmené en voiture à la ferme où il montra à la police et à la petite troupe de repor-ters qui les accompagnaient l'endroit où il avait enterré le sang de Bernice Worden.
     Ce même après-midi, des policiers venus de La Crosse, ville natale de Gein, interrogèrent l'inculpé au sujet de la disparition, quatre ans auparavant, d'une fille de quinze ans nommée Evelyn Hartley. Mais les résultats ne furent pas concluants. Gein fut encore interrogé par plusieurs shérifs du comté voisin au sujet de Mary Hogan, dont la tête avait été découverte dans sa ferme. Sombrant parfois dans la
confusion, souvent dans le mutisme, le prisonnier affirma ne pas la connaître du tout. Il admit seulement s'être rendu une ou deux fois dans son bar pour y boire un verre.
Dans le laboratoire médico-légal de l'État, des sacs et des boîtes pleins de restes humains attendent d'être examinés. Les résultats allaient être utilisés comme preuves.
     Le jour suivant, l'armée des journalistes, qui avaient entre-temps envahi la ville, fut finalement autorisée à entrer dans la ferme de Gein pour constater dans quelles conditions sordides vivait le "Boucher de Plainfield".
     Malgré l'existence de faits précis, l'imaginat-ion du public se déchaîna. Des histoires d'épouv-antes déferlèrent en première page des journaux
dans tout le pays. Certains reportages laissaient entendre qu'il y avait jusqu'à cinquante cadavres enterrés autour de la ferme. D'autres affirmaient que Gein avait distribué des paquets de chair humaine à ses voisins qui ne se doutaient de rien. Beaucoup associaient le nom de Gein à chaque disparition ayant eu lieu dans le Wisconsin au cours des dix dernières années.

 
     Pendant ce temps, Gein était emmené au laboratoire de criminologie central à Madison, la capitale de l'État, pour y être soumis au détecteur de mensonges. L'interrogatoire dura environ neuf heures. Gein avoua avoir porté les "vêtements" qu'il avait fabriqués à partir de peau humaine ; il s'effondra aussi au sujet de Mary Hogan, avouant qu'il pensait l'avoir bel et bien tuée tout en restant "très flou" sur les détails. Quant à la mort de Bernice Worden, il continua d'affirmer, comme il devait le faire jusqu'à la fin de ses jours, qu'il s'était agi d'un accident.
" Edward Gein avait deux
visages. Un qu'il montrait à
 ses voisins et un autre qu'il
ne montrait qu'aux morts "
UN  QUOTIDIEN  LOCAL

 
     D'autres questions portèrent sur ses méfaits de voleur de cadavres. Si la terre était suffisamment meuble, déclara-t-il, il l'enlevait à la main et forçait le couvercle du cercueil avec un levier. Parfois, Gein prenait seulement la tête du cadavre, sciant le cou et brisant la moëlle épinière. A plusieurs reprises, il avait emmené un corps entier, après avoir replacé le couvercle du cercueil et comblé la tombe.
     Pendant tout l'interrogatoire, Gein demeura comme à son habitude calme et coopératif. Il décrivit ses actes sans remords apparents. Il ne se troubla et ne devint réticent que lorsque les questions portèrent sur les meurtres de Mary Hogan ou Bernice Worden. Joe Wilimovski, qui manipulait le détecteur de mensonges, fut convaincu que ce qu'il entendait était la vérité. Il fut très frappé par le calme de Gein quand celui-ci décrivit comment il avait scié en deux des crânes ou éviscéré des cadavres.
     Le procureur Kileen fit ensuite une déclaration selon laquelle Gein allait être inculpé, "d'ici un jour ou deux", d'assassinat sur les personnes de Mary Hogan et Bernice Worden. Ses services étaient convaincus qu'Edward Gein n'avait rien à voir avec les autres dispar-
itions. Il informa alors les reporters, à leur grande fureur, que le procureur général de l'État avait ordonné un blackout des informations sur toute l'affaire.

 

Pat Danna, le bedeau du cimetière de Plainfield, se tient devant la tombe d'Eleanor Adams, peu avant son exhumation destinée à vérifier les affirmations de Gein au sujet des vols de cadavres. L'on aperçoit derrière les tombes d'Augusta et de George Gein. Pour déterrer sa mère, Gein aurait dû forcer un caveau en béton.

Interné

 
     Les choses évoluèrent rapidement. Le jeudi 21 novembre, Gein fut officiellement inculpé et l'embargo sur l'information temporairement levé. Trois reporters furent autorisés à se rendre dans sa cellule pour l'interviewer. Le jour suivant, lors de l'audience préliminaire du procès, l'avocat de Gein plaida la démence et le juge fit interner Gein à l'hôpital central de l'État pour les déments criminels, à Waupun, où des examens psychiatriques devaient être effectués. Gein interné, l'attention se porta essentiellement sur les vols de cadavres.
     Kileen annonça lors de l'audience que Geina vait donné à la police une liste des victimes dont il avait violé les sépultures. Sous réserve de l'autoristation des familles concernées, les autorités espéraient procéder à l'exhumation d'un certain nombre de tombes dès la semaine suivante. Sur la liste figurait une certaine Eleanor Adams, décédée six ans auparavant, en 1951.

 
Rumeurs
 
     Cependant, Pat Danna, le bedau du cimetière municipal de Plainfield, déclara avec insis-
tance qu'il était tout bonnement impossible à un homme seul de faire ce que Gein prétendait avoir fait. Il était par ailleurs certain qu'aucune des tombes sous sa respons-
abilité n'avait été dérangée. Le mystère s'épaississait, et le bruit commença à courir que quelqu'un avait aidé Gein dans ses œuvres de voleur de cadavres.
     Le samedi, une autre rumeur se répandit. Gein aurait été conduit à la ferme une deuxième fois et aurait montré à la police une tranchée contenant les restes incinérés du corps de Mary Hogan. La tranchée aurait été dûment dégagée et les restes de bien plus d'un cadavre enlevés pour être examinés. La tension montait et il était urgent de déterminer la provenance des autres corps. Dès le lundi suivant, Kileen ordonna que soit ouverte la tombe d'Eleanor Adams.
     La terre du cimetière était gelée ce jour-là, et il fallut plus d'une heure à Danna et à son assistant pour creuser jusqu'au cercueil. Ils découvrirent alors que le couvercle était fendu en deux. Danna et son assistant tendirent les bras et soulevèrent les deux morceaux. Le cercueil d'Eleanor Adams était vide. En écartant les restes du linceul pourrissant, les deux hommes découvrirent un levier en acier de 30 cm de long.
     Les hommes se rendirent à une autre tombe indiquée sur la liste de Gein, à trente mètres de la première, et creusèrent une seconde fois. Avant même d'avoir atteint un mètre de profondeur, les travailleurs mirent à jour ce qui était sans erreur possible des restes humains. Quand ils ouvrirent finalement le cercueil, ils ne furent pas surpris de le trouver vide. L'histoire de Gein s'en trouvait confirmée. Dans le cas d'Eleanor Adams, il avait pris le corps entier. Dans la seconde tombe, il avait apparemment prélevé uniquement ce qu'il voulait, puis avait recouvert en hâte les traces de son passage.
     Mais personne ne pouvait estimer, à ce stade de l'affaire, le nombre de tombes profanées.

 
LA  FÊLURE

L'influence de sa mère monstrueuse divisa
la personnalité de Gein à jamais. Deux êtres faussés
grandirent en lui, l'un adorant les figures maternelles
qu'il voyait autour de lui, l'autre les détestant.

 

  Le 18 novembre 1957, Edward Gein,
menottes aux poignets, se tenait
parmi des policiers et des journalistes
sur ses terres, où des restes humains
avaient été retrouvés.
     D'un point de vue médical, le cas d'Edward Gein est
l'un des plus complexes de l'histoire de la criminologie.
Voyeurisme, fétichisme, travestime et nécrophilie s'y
trouvent horriblement mêlés.
     Ces perversions n'étaient pourtant que les manif-
estations d'une psychose plus profonde, un désordre
de la personnalité issu des relations extraordinaires
que Gein entretenait avec sa mère.
     Quand les psychiatres commencèrent à s'interroger
pour comprendre quelles forces obscures animaient
Gein, l'expression "complexe d'Œdipe" fut souvent
mentionnée. Gein, pensaient-ils, était en fait
amoureux de sa mère. Après la mort de celle-ci,
trouver une remplaçante à la seule personne qu'il ait
jamais aimé devint une obsession.
     Ce fut la ressemblance entre sa mère et les deux
victimes assassinées (toutes deux des maîtresses
femmes quinquagénaires solidement bâties) qui
poussa Gein au meurtre quand il fut dominé par son
désir de posséder les deux femmes.
     Cependant, les rapports psychiatriques officiels sur
Gein démontrent que la théorie de "l'amour incestueux
vis-à-vis de sa mère" est en fait une sursimplification
de ce qui se passait réellement dans son esprit, en
particulier si l'on examine son cas à la lumière des
découvertes récentes.
     Selon ces rapports, Gein était un schizophrène, un
homme dont l'esprit avait été mis en pièces par
l'affrontement intérieur de personnalités incompatibles.
     On pense que la schizophrénie commence dès
l'enfance, quand le jeune esprit est confronté à
quelque chose de si terrible, si insupportable, qu'il
l'enfouit dans son subconscient en investissant une ou
plusieurs autres personnalités, mieux à même de gérer
la situation. Ce fut le cas du petit garçon timide dont la
vie était à chaque instant dominée par la discipline
rigide et le fanatisme religieux de sa mère, froide et
sans amour.
     Pire, celle-ci méprisait les hommes, et brandissait l'exemple de son mari pour démontrer leur médiocrité. L'esprit impressionnable de l'enfant en déduisait que cette haine et ce mépris s'appliquaient aussi à lui. Quoi qu'il fasse, le petit Edward ne parvenait jamais à satisfaire sa mère, ni à gagner son amour. 

     L'esprit de l'enfant créa donc une nouvelle personnalité, lui permettant d'adopter une position et un rôle dans cette situation : "Edward n°2" ne pouvait pas être aimé de sa mère, ni d'aucune autre femme, parce qu'il en était indigne. Son rôle était d'adorer celle qui tolérait son indignité, sa mère.
     Mais qu'advenait-il d' "Edward n°1", personnalité première et saine de l'enfant dont le seul crime était de rechercher un amour qui lui était refusé ? Elle commença à bouillonner dans le subconscient de Gein, nourrissant la colère qu'il ressentait envers la
personne qui l'avait réprimé. "Edward n°1" haïssait sa mère.
     Les années passant, Gein s'isolait de plus en plus du monde extérieur. L'adoration aveugle et le complexe d'infériorité engendrés par la personnalité n°2 se renforçaient à chaque réprimande d'Augusta. En même temps, la frustration ressentie par la pers-
onnalité n°1 continuait à bouillonner dans l'esprit de Gein. Il voulait aimer les femmes, mais c'étaient elles, à travers sa mère, qui l'en empêchaient.
     Après la mort d'Augusta Gein, l'esprit de son fils
se trouva vraisemblablement projeté dans un nouveau
tourbillon. Sa mère disparue, raisonnait la
personnalité n°2, qui restait-il pour le tolérer ?

  En 1978, Gein fut transféré de
l'hôpital central de l'État à l'Institut
pour la santé mentale de Mendota, un
établissement vieillot où il demeura
jusqu'à la fin de ses jours.
     En même temps, la personnalité n°1, sentant le moment venu de se libérer, s'éveilla dans le subconscient de Gein.
     Les voies normales par lesquelles l'amour s'exprime étant encore bloquées chez Gein, celui-ci commença par aller chercher un réconfort dans le cimetière. A ce stade, la personnalité n°2 contrôlait encore en grande partie les choses. Gein recherchait donc les corps des femmes qui ressemblaient à sa mère. Une sexualité normale étant hors de question, Gein eut recours à des pratiques fétichistes et nécrophiles comme exutoires au désir physique qu'il ressentait.
     Malheureusement, la vision de femmes vivantes, en l'occurrence Mary Hogan et Bernice Worden, commença aussi à éveiller le désir en lui et, ce faisant, la personnalité n°1 commença à prendre le contrôle. Plus il approchait de Mary Hogan et de Bernice Worden, plus il se sentait en colère. Ces femmes étaient malfaisantes, se disait-il, parce qu'une partie de lui cherchait à les aimer alors que l'autre ne pouvait s'y résoudre.
     La vérité, bien entendu, ne pourra jamais être exactement établie. Mais selon toute probabilité, lorsqu'Edward Gein assassina Mary Hogan et Bernice Worden, c'était en fait sa mère qu'il voulait tuer.

 
V         LE   PROCÈS

Lorsque d'autres découvertes macabres furent faites sur ses
terres, Gein fut interné dans un hôpital psychiatrique. Dix
ans plus tard, le verdict de son procès était inévitable : il y fut
renvoyé de façon permanente, pour son bien et pour celui de
la société.
 


 
     Le mercredi 27 novembre, des voisins de Gein indiquèrent à la police un dépôt d'ordures enterrées se trouvant sur sa propriété, à quelque distance de la ferme elle-même. Ils avaient souvent vu Gein y creuser, mais avaient toujours supposé qui'l enterrait simplement ses ordures.
     Les fouilles firent apparaître un nouveau squelette presque complet, dont le crâne semblait trop grand pour être celui d'une femme. La mâchoire contenait une dent en or. Les autorités se demandèrent si ce corps n'était pas celui d'un fermier des environs, Ray Burgess, qui avait disparu avec un de ses amis pendant une partie de chasse, en 1952.
     Après les découvertes des deux semaines précédentes, la population de Plainfield était convaincue que le monstre qui avait vécu parmi eux pendant si longtemps sans être découvert était capable de tout. Mais l'examen médico-légal prouva que le corps était celui d'une femme.

 
Expertise   psychiatrique
 
     Pendant ce temps, Gein était soumis à des examens psychiatriques approfondis par les médecins de l'hôpital central de l'État. Un deuxième test au détecteur de mensonges sembla confirmer que, Bernice Worden et Mary Hogan mises à part, Gein avait limité ses activités de dépeçage et de mutilation aux corps de femmes déjà mortes. Il admit finalement avoir volé neuf cadavres, appartenant tous à des femmes d'un certain âge.
   Le juge d'assises Herbert Bunde était un juriste réputé pour être sévère et direct. Le 6 janvier 1958, après avoir écouté pendant cinq minutes à peine les avocats de la défense et de l'accusation, il signa sans hésiter l'ordre d'inter-
nement d'Edward Gein à l'asile d'aliénés.


     Une fois de plus, il décrivit calmement ce qu'il avait fait avec les têtes coupées, les membres et autres parties des corps. Il apparut qu'en certaines occasions, il avait revêtu le tricot de corps et les jambières en peau humaine pour arpenter sa ferme. La pensée de ce boucher travesti, foulant la nuit tombante les débris nauséabonds et les restes putréfiés qui jonchaient ses quartiers, écœurait ses interrogateurs. Gein, pour sa part, semblait quasiment incapable de comprendre le mal qu'il y avait
à mutiler des corps qui étaient déjà morts, et se montrait partic-
ulièrement fier des connaissances anatomiques dont témoignaient ses œuvres. 

? Le shérif Art Schley qui avait fait les premières découvertes à la ferme, conduisit personnellement Gein à l'hôpital central de l'État. On attribua à Gein une petite pièce austère et dépouillée. Désœuvré, il s'occupait en s'inventant une ronde de corvées domestiques continuellement répétées.

     Le test de Wechsler, un test classique pour calculer le cœfficient intellectuel des adultes, montra qu'Edward Gein était à bien des égards "plutôt intelligent" - et même au-dessus de la moyenne - mais qu'il avait de grandes difficultés à s'exprimer et à communiquer avec autrui autrement que dans les termes les plus simples. Les psychologues de l'hôpital attrib-
uèrent ceci à une "grave perturbation affective" dans son passé qui, déclarèrent-ils,
déclenchait chez Gein des crises de comportement irrationnel suivies de longues périodes de calme et de remords.

" De bien des façons, le malade vit
une vie de psychotique depuis des années.
Il a remplacé la compagnie d'êtres
humains par celle de parties du
corps humain "
DR MILTON MILLER

 
     Son développement sexuel et affectif avait été gravement retardé, ce qui l'incitait à se retirer dans un monde imaginaire de fantasmes bizarres où ses sentiments pour les femmes se mêlaient à la douleur ressentie à la mort de sa mère, et à la peur de transgresser son propre code moral étrangement strict. Bernice Worden et Mary Hogan, affirmait Gein, étaient des "mauvaises femmes". Il n'allait pas jusqu'à dire qu'elles méritaient de mourir, mais plutôt qu'elles étaient destinées à avoir une fin violente. Il n'avait été que l'instrument de leur mort.
     Au sujet des cadavres mutilés, Gein reconnut avoir nourri l'espoir de ramener sa mère à la vie grâce au corps d'une autre femme. Il avait été déçu de voir son plan échouer.
     Dans les années qui s'étaient écoulées depuis la mort de sa mère, il s'était mis à voir des "visages parmi les feuilles" et à "sentir des odeurs étranges". Ces odeurs continuèrent à le troubler à l'hôpital central, pendant les interrogatoires. Quand on lui demanda quelles étaient ces odeurs, il fit une réponse glaçante : "des odeurs de chair".

 
Démence
 
   Les habitants de la région inspectent la propriété de Gein, en mars 1958, avant sa mise aux enchères. Les citoyens de Plainfield furent indignés d'apprendre que la vente aurait lieu le dimanche des Rameaux. Ils y voyaient une invitation ouverte à la colère divine. Mais l'incendie qui détruisit finalement la ferme fut vraisemblablement d'origine humaine.

     Le 18 décembre, les médecins qiu avaient interrogé Gein se réunirent une dernière fois pour revoir les éléments du dossier médical, sous la présidence du Dr Edward F. Schubert, directeur de l'hôpital. Leur conclusion fut que Gein était dément et n'était donc pas mental-
ement apte à passer en jugement. La décision fut prise de renvoyer Gein à l'hôpital jusqu'à Noël, et les recommandations des psychologues furent transmises au procureur général.
    
     Gein comparut devant le juge Bunde le matin du 6 janvier 1958. Il resta impassible, assis au banc des accusés, mâchant du chewing-gum pendant que trois psychologues, dont Schubert, faisaient leur déposition. Après audition de leurs exposés, Bunde approuva sans aucune hésitation leurs recommandations. Gein fut interné à l'hôpital psychiatrique de l'État.
     Cette décision souleva de nombreuses protestations parmi les habitants de Plainfield. Bon nombre d'entre eux se montrèrent furieux en apprenant que l'homme qui avait fait du nom de Plainfield un synonyme de meurtre et d'horreur n'allait pas passer en jugement.
     Pour tenter de les apaiser, le procureur général Walter Honeck déclara dans une lettre que l'internement de Gein n'excluait pas automatiquement un procès ultérieur. Gein serait examiné à intervalles réguliers pour voir si son état mental donnait des signes d'amélioration.

" Gein aimait surtout les
femmes d'un certain âge,
plutôt corpulentes -
et mortes "
JUGE ROBERT H. GOLLMAR

 
     En mars, au moment où l'affaire commençait à se calmer, une nouvelle querelle fut déclenchée. La ferme de Gein et ses possessions allaient être vendus aux enchères. Les acheteurs potentiels pouvaient inspecter la propriété moyennant un droit d'entrée de cinquante cents, un prix nécessaire, affirma-t-on, pour décourager "les simples touristes". Au-delà du profit que certains voulaient tirer là où Plainfield avait été si évidemment perdante, c'est la date dela vente aux enchères - le dimanche des Rameaux - qui apparut aux gens religieux de la ville comme un affront pur et simple.
     Mais la vente aux enchères n'eut jamais lieu. Le soir du 20 mars, le ciel de Plainfield s'embrasa : la ferme de Gein était en flammes. Les habitants de Plainfield s'attroupèrent autour de l'incendie et plusieurs d'entre eux n'étaient pas loin de voir un châtiment divin. Parmi eux se trouvaient le fils de Bernice Worden, Frank, qui était aussi sapeur-pompier municipal. La cause de l'incendie ne fut jamais déterminée. Le commentaire de Gein en apprenant la nouvelle fut un bref "C'est aussi bien comme ça."

 
Nouveaux   restes
 
     Mais l'histoire de Gein n'était pas encore terminée. En mai 1960, en grattant le sol d'une tranchée située sur les anciennes terres de Gein, des chiens mirent à jour un nouveau tas d'ossements humains, dont des bras, les os d'une jambe et un pelvis. Le "palmarès" final du petit homme à tout faire dément, une fois tous les restes humains analysés, catalogués et identifiés, se montait à quinze corps, y compris les deux victimes assassinées, Bernice Worden et Mary Hogan.
     Gein se plaisait dans son nouveau "foyer" de l'hôpital-prison et était un prisonnier modèle. Il s'entendait bien avec les surveillants et, à la différence des autres détenus, n'eut jamais besoin d'être mis sous sédatifs. Dans les ateliers de la prison, il fit preuve d'une habileté considérable pour les travaux d'artisanat. Avec le petit salaire qu'il touchait, il acheta une radio à ondes courtes et devint un radio-amateur assez qualifié.

 
Apte   au   jugement
 
     En janvier 1968, cependant, le juge fédéral Robert Gallmar reçut une lettre des autorités hospitalières déclarant qu'à leur avis, Gein était désormais apte à passer en jugement. Gollmar, en rééxaminant l'affaire, pensa qu'un tel procès serait une perte de temps et d'argent, mais il se dit aussi que les promesses faites par le procureur général Honeck aux habitants de Plainfield devaient être honorées. Gollmar donna son accord pour que la procédure se poursuive.
     Le procès eut lieu en novembre de la même année et dura une semaine. Il devait établir simultanément si oui ou non Gein était coupable de meurtre et, si c'était le cas, s'il était ou non suffisamment sain d'esprit pour savoir ce qu'il faisait alors.
     Pour la première fois, un jury et un public allaient être témoins des découvertes macabres faites à la ferme de Gein.

 
Coupable   ou   non   coupable
 
     Le jury entendit de nombreux psychologues évoquer pour la seconde fois leurs entrevues avec Gein, et rappeler comment, tout du moins au sujet de l'exhumation des cadavres, le petit homme semblait à peine conscient d'avoir fait quoi que se soit de mal.
     Le verdict ne surprit personne, bien que Gein eût l'étrange privilège d'être déclaré coupable et non coupable le même jour : coupable de meurtre et non coupable du fait de sa démence évidente.
     Quant à Gein, il demeura comme toujours calme et docile de bout en bout. Lorsque le juge Gollmar ordonna qu'il soit renvoyé à l'hôpital et déclara l'affaire définitivement close, Gein se leva du banc des accusés et passa en traînant les pieds devant un parterre de photographes et de reporters.
     Le boucher de Plainfield rentrait chez lui, à l'hôpital central de l'État, à Waupun. 

 
DÉNOUEMENT

 

 
     ♦ En février 1974, une requête fut déposée au nom de Gein auprès du tribunal du comté de Waushara. Cette requête affirmait qu'après seize ans d'internement, le malade avait maintenant "complètement retrouvé sa santé mentale" et ne devait pas être retenu à l'hôpital plus longtemps. Après avoir examiné la requête, le juge fédéral Gollmar donna l'instruction à l'hôpital psychiatrique d'entreprendre une nouvelle série d'examens, dont les résultats seraient entendus au tribunal.
     ♦ Avant l'audience, Gein bavarda aimablement avec des reporters devant le palais de justice. Il leur dit qu'il était enthousiaste à l'idée de voir le monde et qu'il pensait faire un voyage. Mais l'opinion des quatre médecins qui témoignèrent devant le juge Gollmar était accablante : le psychopathe vieillissant ne devait pas être remis en liberté.
     ♦ L'un des médecins déclara que si "ses processus mentaux semblaient dans l'ensemble bien organisés" quand il discutait de "sujets non-menaçants", la psychose qui avait si longtemps affligé son esprit couvait juste sous la surface, "prête à être réactivée si les conditions s'y prêtaient". Le juge Gollmar n'eut pas d'autres choix que de rejeter la requête de Gein.
     ♦ Edward Gein mourut à la suite d'une insuffisance respiratoire, le 26 juillet 1984, dans le service de gériatrie de l'Institut pour la santé mentale de Mendota, où il recevait des soins depuis 1978. Il fut enseveli dans une tombe anonyme du cimetière de Plainfield, à côté de sa mère.
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