Nom : Peter William Sutcliffe
Alias : " L' éventreur du Yorkshire "
Date de naissance : 2 juin 1946
Classification : Tueur en série
Caractéristiques : A entendu des voix de Dieu lui ordonnant de tuer
Nombre de victimes : 13
Date de meurtres : 1975 - 1980
Date d'arrestation : 2 janvier 1981
Méthode de meurtre : Marteau à pannes rondes - Couteau
Lieu : West Yorkshire, Angleterre
Statut : Condamné à la prison à perpétuité

1        SURGI   DE   L' OMBRE

C'est une prostituée de Leeds qui fut tuée la première,
en 1975. Deux ans plus tard, quatre meurtres ayant été
commis, la police devait faire face à une vague de terreur,
causée par l'Eventreur du Yorkshire.

 
     Il faisait un froid de canard, comme bien souvent dans le Yorkshire, ce comté industriel du nord-est de l'Angleterre. Dans un faubourg, au nord de la grande cité de Leeds, un laitier faisant sa tournée claquait des dents dans le brouillard glacé du petit matin. Il écarquillait les yeux, pour distinguer son chemin sur le terrain de jeux balayé par les vents, du côté de Harrogate Road. Par terre, sur l'herbe gelée, il distingua une sorte de paquet ; il pensa que ce pouvait être un mannequin utilisé quelque temps auparavant, lors de la fête du quartier. Cependant, quelque chose lui dit qu'il valait mieux l'examiner de plus près.

En 1976, le second meurtre n'avait eu droit qu'à une courte colonne dans le Times
 
     Il découvrit une femme étendue sur le dos, les cheveux couverts de sang et le corps dénudé. La veste et le chemisier étaient ouverts et le soutien-gorge arraché. Le pantalon était baissé jusqu'aux genoux, mais elle avait encore son slip. La poitrine et le ventre étaient lacérés de quatorze coups de couteau.
     
     Le médecin légiste établit qu'elle avait été attaquée par derrière, de deux terribles coups à l'arrière du crâne, avec un marteau ou un objet similaire. Le crâne était fracassé. Les coups de couteau avaient été portés après la mort.

 
LE   PREMIER   MEURTRE
    
     Wilma McCann, qui rentrait toujours en stop, après avoir passé la nuit en ville, avait eu une mort horrible, à cent mètres de sa modeste maison de Scott Hall Avenue. Elle avait toujours aimé boire quelques verres en joyeuse compagnie : les analyses montrèrent qu'elle avait un taux d'alcoolémie élevé la nuit de sa mort, le 30 octobre 1975.
     Elle portait sa tenue préférée : un chemisier rose, un boléro bleu et un large pantalon blanc. Elle était partie de chez elle à 19h30, en disant à sa fille aînée, Sonje, de coucher les trois petits et de ne pas ouvrir la porte. Celle-ci obéit et n'ouvrit qu'à 9h, le lendemain matin, quand les pleurs des enfants et sa propre inquiétude devinrent insupportables. Désemparée, elle prit avec elle son jeune frère, Richard, âgé de sept ans, pour aller chercher de l'aide. On les trouva, transis de froid et serrés l'un contre l'autre, à l'arrêt d'autobus.

 
" J'ai pensé " Mon Dieu !
Qu'est-ce que j'ai fait ? "...
Je me suis vu dans de sales draps.
Je me suis dit que ma seule chance,
c'était qu'elle ne puisse
plus jamais parler "

PETER SUTCLIFFE

CHAPELTOWN
    
      La première victime avait 28 ans et le meurtre ne semblait pas avoir de caractère sexuel. Elle n'avait plus son sac, dont le fermoir portait le mot " Maman ", gravé par Sonje. Dans le doute, la police enquêta comme s'il s'agissait d'une agression commise par un voleur. Cependant, les recherches ne donnèrent rien.
     En fait, il s'agissait du premier assassinat d'une longue série qui allait jeter l'effroi dans le coeur des femmes de l'Angleterre, surtout dans le coeur de celles qui exerçaient leurs activités dans le coin de Chapeltown : le quartier chaud de Leeds. Toutes celles qui s'y prostituaient n'étaient pas des professionnelles. Il y avait des mères de famille qui cherchaient à arrondir leurs fins de mois, d'autres qui cherchaient à rompre leur ennui. Seules quelques-unes faisaient cela pour leur plaisir. C'était justement le cas d'Emily Jackson, qui vivait avec son mari et ses trois enfants à Churwell, une banlieue comme il faut de Leeds.

 
UN   CLIENT   POUR   LA   NUIT
 
     Le 20 janvier 1976, en début de soirée, Emily et son mari arrivèrent dans un bar, le Gaiety, sur Roundhay Road, le point de ralliement des " occasionnelles " de Chapeltown et de leurs éventuels clients.
     Quelques minutes après, Emily quitta son mari pour chercher un amateur dans une des salles du bar. Moins d'une heure plus tard, on l'aperçut qui montait dans une Land Rover sur le parking ; on ne devait plus la revoir vivante. A la fermeture, Jackson, son mari, l'attendait encore. Il finit son verre et prit un taxi, pensant que sa femme avait trouvé sans doute " un ami " pour la nuit.
     Il ne faisait pas encore jour, le lendemain, quand un ouvrier remarqua sur le sol une forme allongée, couverte d'un manteau. Comme Wilma McCann, elle avait été frappée, derrière la tête, de deux violents coups de marteau. Le cou, la poitrine et le ventre étaient lacérés au couteau. Cependant, dans le cas d'Emily, le tueur avait frappé plus de cinquante fois, et il lui avait planté un tournevis dans le dos.
     Un inspecteur confia que le spectacle d'une telle boucherie l'avait pétrifié. Le plus écoeurant était la marque d'une semelle de grosse botte de caoutchouc, imprimée sur la cuisse droite.

 
DOUBLE   MEURTRE
    
      Les analyses montrèrent qu'Emily avait eu des rapports sexuels, mais avant sa mort et pas nécessairement avec le meurtrier. Là encore, on ne trouvait pas de mobile. La police reconnut que les deux meurtres étaient probablement liés et se mit à rechercher l'assassin. En privé, les inspecteurs confiaient qu'ils avaient affaire à un meurtrier très habile, qui n'avait laissé qu'un seul indice : il chaussait du 41.
     Un an s'écoula avant que le meurtrier ne frappe à nouveau. Parmi les filles qui exerçaient à Chapeltown, le souvenir des morts horribles de Wilma et d'Emily commençait à s'estomper. Irène Richardson était elle aussi une occasionnelle, comme Emily ; elle faisait le trottoir pour essayer de joindre les deux bouts, et vivait misérablement dans une chambre sordide de Cowper Street, à Chapeltown. Le soir du 5 février 1977, elle quitta son taudis une demi-heure avant minuit, pour aller danser.

 
LES   ANALYSES
    
     Le lendemain, un sportif matinal faisait du jogging sur le terrain de sport de Soldier's Field, non loin de Chapeltown. Il vit un corps, étendu derrière les vestiaires, et il s'approcha, stupéfait.
     C'était la même sauvagerie. Irène gisait face contre terre, le crâne défoncé par trois terribles coups de marteau. La jupe et le collant étaient déchirés, mais le manteau, par un étrange scrupule de décence, avait été tiré sur les fesses. En dessous, on trouva les bottes d'agneau de la victime, laissée pieds nus, soigneusement posées contre les cuisses. Cependant, malgré ces prévenances, le cou et le torse étaient lacérés de coups de marteau. Les analyses montrèrent qu'il n'y avait pas eu de rapport sexuel. La jeune femme était morte une demi-heure après avoir quitté sa chambre pour son dernier bal. Elle avait 28 ans.

 
" Je ressentais l'obligation intime de tuer
une prostituée...
Je savais que je ne désirais pas avoir
de relation sexuelle avec elle,
je voulais juste m'en débarasser "
PETER SUTCLIFFE
    
     Désormais, il était clair qu'un tueur obsédé était en chasse. Lorsque l'on connut les détails du meurtre d'Irène Richardson, la presse ne fut pas longue à faire le rapprochement avec l'autre tueur de femmes, celui qui hante encore les annales de la police et l'imagination populaire, Jack l'Eventreur, celui qui tuait, mutilait et dépeçait les prostituées, dans les ruelles sordides et obscures de l'East End, à Londres. Désormais, l'assassin de Wilma McCann, d'Emily Jackson et d'Irène Richardson avait un nom : l'Eventreur du Yorkshire !
     C'en était trop pour les filles des quartiers chauds. Beaucoup d'entre elles émigrèrent pour des lieux jugés plus paisibles, à Manchester, Londres ou Glasgow. Celles qui devaient impérativement rester dans la région allèrent jusque dans la ville voisine de Bradford, où se trouvait également un quartier chaud, délimité par trois rues, Manningham Lane, Lumb Lane et Oak Lane.

   
UNE   NOUVELLE   VICTIME
    
    
Patricia Tina Atkinson, native de Bradford, habitait justement Oak Lane. Elle s'estimait heureuse de ne pas avoir à exercer le métier, de plus en plus dangereux, de prostituée en voiture. Elle s'était mariée à un asiatique et avait eu trois enfants, mais le mariage mixte n'avait pas tenu. En 1976, elle vivait seule, s'entourant d'une véritable ribambelle d'amants. Elle était brune, mince et belle, et avait toute une cour d'admirateurs.
     Le souvenir des événements de Leeds restait présent dans l'esprit de la plupart des filles, mais deux mois s'étaient déjà écoulés depuis la mort d'Irène. Un beau soir d'avril, Tina se rendit à son bar habituel, le Carlisle Pub. Elle était vêtue d'une veste de cuir, d'un jean et d'un chemisier bleu. Elle but plus que de mesure en compagnie de ses amis et sortit titubante, juste avant la fermeture. On ne la vit pas le jour suivant, et les gens pensèrent qu'elle soignait sa " gueule de bois ".

 
" Les deux premières années furent les
meilleures. Rien n'indiquait encore
pourquoi j'avais été choisi "
PETER SUTCLIFFE


L' EMPREINTE   DE   BOTTE
    
    
Le soir suivant, des amis qui la cherchaient trouvèrent la porte de son appartement ouverte. Ils rentrèrent et découvrirent sur le lit la forme d'un corps, enseveli sous des couvertures. Tina avait été attaquée en rentrant chez elle et quatre coups de marteau lui avaient défoncé le crâne. On l'avait jetée sur le lit et déshabillée. Elle avait reçu sept coups de couteau dans le ventre et elle était tailladée sur le côté gauche. Il n'y avait aucun doute sur le meurtrier, qui avait laissé sa marque, inimitable : l'empreinte d'une botte, du 41, sur le drap. C'était la même que sur la cuisse d'Emily. 
     La police, d'ordinaire, ne s'en laisse pas trop compter par la manière dont la presse décrit un criminel ; cependant, à la fin avril, elle commença à trouver que l'Eventreur du Yorkshire faisait vraiment trop parler de lui. En outre, elle se rendit compte que l'individu avait trouvé une catégorie de victimes idéales, les prostituées, celles-ci étant pratiquement impossibles à surveiller.
     C'était bel et bien une affaire semblable à celle de Jack l'Eventreur. Le meurtrier s'en prenait toujours au même type de victimes et ne laissait que peu d'indices, qui auraient pu aider les recherches des enquêteurs.
     La terreur s'installait dans les rues, car rien ne permettait de penser que l'assassin allait s'arrêter en si bon chemin. La presse, jouant sur l'appétit de sensationnel du public, faisait déjà ses gros titres de l'effroyable Eventreur du Yorkshire.


  
  Le corps d'Irène Richardson est soustrait aux regards des promeneurs et sportifs à l'aide d'un écran de matière plastique. Malgré un effectif renforcé et des recherches minutieuses, la police ne put pas trouver d'autre indice que quelques traces de pneus sur le terrain de sport.
 
 

 



2          A   TRAVERS   LE   FILET 

Alors que le rythme des meurtres s'accélérait, la colère
montait. La police n'avait pas encore de pistes sérieuses.
En désespoir de cause, le commissaire Gregory fit appel
au policier le plus expérimenté, George Oldfield, pour
traquer l'Eventreur.

    
    
Un samedi soir, le 25 juin 1977, Peter déposa sa femme à la clinique Sherrington, où elle effectuait occasionnellement un service de nuit. Ensuite, il alla boire quelques verres avec ses voisins et habituels compagnons de bar, Ronnie et Peter Barker. Le trio passa la soirée dans des pubs de la région de Bradford ; ils terminèrent au Dog in the Pound, connu pour son barman, un ancien marin habillé en travesti. Après la fermeture, ils allèrent manger un cornet de frites. Il était minuit passé quand Peter déposa les frères Barker devant chez eux, mais démarrant brusquement, il poursuivit son chemin.
     Vers 2h du matin, il remarqua une fille seule, vêtue d'une jupe colorée, qui marchait sous les lumières de Chapeltown Road. Il la suivit des yeux tandis qu'elle longeait l'ombre imposante du pub Hayfield. Arrêtant sa Ford Corsaire blanche, il descendit et la suivit.
     C'est à dix heures moins le quart, le jour suivant, que des enfants jouant sur un terrain vague bordant Reginald Terrace découvrirent le corps de Jayne MacDonald, contre un mur. Elle avait été frappée derrière la tête et traînée à vingt mètres de la rue, puis frappée à nouveau. Elle avait reçu un coup de couteau dans le dos, et de multiples coups dans la poitrine. Les policiers n'hésitèrent pas un instant sur l'identité du coupable, ils reconnaissaient sa griffe. Il y avait cependant une différence très inquiétante !
     En effet, Jayne MacDonald n'avait que 16 ans ; elle venait de quitter l'école et travaillait au rayon chaussures du supermarché du quartier. Le jour du drame, elle s'était rendue chez des amis, à Leeds, et elle rentrait chez ses parents, à cent mètres de l'endroit où elle avait été attaquée.
     Les MacDonald faisaient partie de la population respectable de Chapeltown. C'était une famille travailleuse qui était unie et heureuse. Jayne MacDonald n'était ni une prostituée, ni une " dévergondée ". Son seul lien avec les milieux louches était d'habiter à côté d'eux.
     Lorsque l'on sut que l'Eventreur du Yorkshire s'était mis à assassiner des adolescentes d'âge scolaire, l'effet de panique fut immédiat. Au cours de l'enquête, les policiers interrogèrent 700 habitants des 21 rues proches de Reginald Terrace, et recueillirent 3 500 dépositions, beaucoup émanant de prostituées.

 
" Je lui ai dit que j'étais désolé.
C'était la première fois que je m'excusais
auprès de quelqu'un que j'avais tué "
PETER SUTCLIFFE
    
    
Mais on exigeait des résultats. Deux semaines après la mort de Jayne MacDonald, l'Eventreur avait sauvagement attaqué Maureen Long, dans un terrain vague, près de sa maison à Bradford. Elle avait miraculeusement survécu, mais sa description de l'agresseur éclaira assez peu les enquêteurs : 1,80 m, 36 ou 37 ans, des cheveux descendant dans le cou et un collier de barbe.
     Cependant, le ministère de l'Intérieur vint visiter le " terrain de chasse " de l'Eventreur, à Leeds. On l'informa que les 304 inspecteurs avaient interrogé 175 000 personnes, recueilli 12 500 déclarations et contrôlé 10 000 véhicules.

 
UN   INDICE   DECISIF
    
    
Même si la police avait eu un signalement plus précis, cela lui aurait été de peu de secours. Comment penser, en effet, à rechercher un meurtrier dans une maison impeccablement tenue d'un quartier de la petite bourgeoisie de Bradford? En août, en effet, Peter et Sonia Sutcliffe avaient emménagé dans leur nouvelle maison, au 6 Garden Lane, à Heaton. Pour la première fois, ils avaient un logement à eux. Agé de 31 ans, Peter était bon mari, bon fils, employé honnête et estimé, et considéré, pour sa politesse, par ses voisins. C'était le genre d'homme à se contenter de bricoler sa voiture le dimanche. On aurait difficilement trouvé à redire à sa conduite, et encore moins soupçonné qu'il fut un meurtrier obsédé.
     Le samedi 1er octobre, près de chez elle, dans Moss Side, à Manchester, Jean Bernadette Jordan monta dans la nouvelle Ford Corsaire rouge de Sutcliffe. Elle avait reçu cinq livres d'avance et elle le guida jusqu'à un terrain vague fréquenté par les prostituées, à quelques kilomètres de là, entre les jardins d'ouvriers et le cimetière. Juste après être descendu de voiture, Sutcliffe asséna à Jean Jordan, à l'arrière du crâne, un grand coup de marteau. Il s'acharna, la frappant en tout onze fois. Après avoir tiré le corps dans les buissons, il fut surpris par l'arrivée d'une voiture et dut déguerpir rapidement.
     Alors qu'il rentrait chez lui, il se dit qu'il avait laissé un indice important, près du corps de Jean. Le billet de cinq livres qu'il lui avait donné était neuf et provenait directement de la paye qu'il venait de toucher deux jours plus tôt.

 
SUR   LES   LIEUX
DU   CRIME
    
    
Pendant huit jours, Sutcliffe attendit ; le corps n'ayant pas été retrouvé, il décida de retourner sur place pour essayer de retrouver le billet. Cependant, malgré ses recherches désespérées, il n'arriva pas à mettre la main sur le sac de Jean ; fou de rage, il s'acharna sur le corps avec un morceau de vitre brisée. Il tenta même de lui trancher la tête, se disant qu'ainsi, sans les traces de coups de marteau, le crime ne lui serait pas imputé. Finalement, il abandonna et, après avoir donné des coups de pieds dans le corps, il rentra chez lui.
     Le lendemain, le propriétaire d'un des jardins trouva le corps dénudé de Jean Jordan et appela le poste de police de Chorlton-cum-Hardy. Le visage de la jeune femme était méconnaissable et ses vêtements en lambeaux ne permettaient pas de l'identifier.
     Cependant, grâce à une empreinte sur une bouteille de soda retrouvée à son appartement, on sut qu'il s'agissait de Jean Jordan, 21 ans, arrêtée déjà deux fois pour racolage. Elle vivait avec un ami rencontré à Manchester à son arrivée d'Ecosse, cinq ans plus tôt. Elle avait deux fils.
     Bien que Jean Jordan ne revînt pas pour le week-end, comme elle en avait l'habitude, son ami ne s'en inquiéta pas outre mesure. C'est pourquoi la disparition ne fut pas signalée pendant dix jours.

 
DECEPTION
    
    
La découverte du billet de cinq livres fit naître un grand espoir chez les enquêteurs. Cependant, trois mois plus tard, devant l'absence de résultats, c'était la déception. Comme tout le monde, Peter Sutcliffe avait été interrogé dans son pavillon par un des 5 000 hommes de la police. Affable et poli, il n'avait pas éveillé les soupçons. Ensuite, l'inspecteur avait rédigé un rapport de cinq lignes, sans que le moindre doute ne soit formulé.
     Helen Rytka, une belle fille de 18 ans, avait souvent rêvé d'avoir un jour une maison comme celle de Peter. Le 31 janvier 1978, elle partageait toujours une chambre miteuse à Huddersfield, près d'un viaduc d'autoroute, avec sa soeur jumelle, Rita.
     Elles essayaient de travailler à deux, en racolant dans les abords tristes et sinistres d'une rue traversant le quartier des prostituées, Great Northen Street. Il existait de vraies maisons de passe sous les voûtes du pont de chemin de fer Manchester-Leeds ; cependant, Helen et Rita pensaient qu'elles valaient mieux et se consacraient à la prostitution en voiture.
     A cause de l'Eventreur du Yorkshire, elles avaient pris leurs précautions : elles travaillaient près de toilettes publiques ; lorsque l'une d'entre elles était prise, elle consacrait exactement vingt minutes au client, et elle devait retourner ensuite aux toilettes. En outre, elles notaient le numéro de la voiture dans laquelle l'autre était montée.

 
DANS   L' ENTREPOT
    
    
En cette nuit neigeuse du mardi 31 janvier, tout alla de travers. Helen revint cinq minutes plus tôt que prévu, à 21h25. Le barbu, dans la Ford rouge, lui offrait l'occasion de gagner cinq livres de plus, peut être même plus avant le retour de Rita. Les soeurs ne devaient jamais se revoir.
     Helen conduisit l'étranger près de l'entrepôt de bois Gerrard, à proximité du viaduc fréquenté la nuit par les clochards et les prostituées.
     Contrairement à son habitude, Sutcliffe eut des rapports sexuels avec Helen, surtout parce que la présence de deux hommes dans le secteur lui imposa de retarder le moment des coups de marteau. Il frappa la fille quand, sans doute impatiente de revenir auprès de sa soeur, elle passa par-dessus la banquette pour retourner sur le siège avant. Il manqua le premier coup, heurtant la porte de la voiture. Au second, il la toucha à la tête. Il frappa encore cinq fois. Le mur de la cabane du contremaître de l'entrepôt, juste à côté, fut éclaboussé de sang.
     Le corps d'Helen fut tiré et camouflé près d'une pile de bois et ses vêtements dispersés aux alentours. Quand on la trouva, son soutien-gorge et son polo noir étaient remontés au-dessus des seins, comme chez toutes les victimes, et elle avait encore ses chaussettes. Un camionneur avait retrouvé sa culotte de dentelle noire, un peu avant la découverte du corps. Il l'avait clouée sur la porte de l'entrepôt. La jeune fille était horriblement marquée : l'assassin avait ouvert sur la poitrine trois larges plaies, en s'acharnant à coups de couteau. Le buste portait également des traces de griffures.

 
 
OPTIMISME
    
    
Rita, la soeur jumelle d'Helen, était dévorée d'inquiétude. Cependant, elle avait tellement peur de la police qu'elle n'osa pas aller tout de suite au poste. C'est seulement après trois jours que le corps fut retrouvé, avec l'aide d'un berger allemand. Cependant, la police était optimiste : l'Eventreur avait rencontré sa dernière victime en début de soirée, dans une rue très passante et des gens avaient dû le voir.
     On retrouva plus de cent personnes s'étant trouvées à cet endroit. On interpella trois conducteurs et comme suspect, un passant, un homme trapu, aux cheveux longs. Une semaine plus tard, George Oldfield participa à une émission de radio. Il suggéra que, sans doute, une épouse, une mère ou une petite amie avait eu des soupçons. Cet appel à la délation ne donna rien : l'Eventreur était bien trop habile.
     Quelques semaines après, le 26 mars 1978, un passant vit un bras dépasser sous un vieux canapé retourné, dans un terrain vague, le long de Lumb Lane, dans le quartier chaud de Bradford. Il pensa que c'était un mannequin mais une très forte odeur se dégageait, et il préféra téléphoner à la police.

 
UNE   FILLE   MEFIANTE
    
    
Yvonne Pearson était une prostituée de luxe ; elle travaillait dans toute la Grande-Bretagne, dans les milieux d'affaires, et bien qu'elle fût de Leeds, son carnet contenait des adresses de clients dans tout le pays.
     Elle avait été tuée deux mois plus tôt - dix jours avant Helen Rytka - d'un coup à la tête porté par un instrument arrondi ( Sutcliffe avait troqué la marteau ordinaire contre un marteau à pannes rondes ), et on lui avait piétiné la poitrine. Le soutien-gorge et le pull étaient remontés au-dessus des seins, alors que le pantalon noir évasé était baissé. Du crin emprunté au canapé était enfoncé dans la bouche. Le meurtrier, semblait-il, était revenu sur les lieux - comme dans le cas de Jean Jordan quatre mois plus tôt - pour rendre le corps plus visible ; il avait placé, sous le bras de la victime, un numéro du Daily Mirror daté de quatre semaines après la mort.
     Yvonne Pearson ne connaissait que trop les dangers du métier ; elle avait conseillé à plusieurs de ses amies de se méfier de l'Eventreur. Le soir de sa mort, elle avait confié ses deux petites fille, Colette et Lorraine, à la garde d'une voisine de 16 ans. Ensuite elle était allée dans un pub, le Flying Dutchman.
     Elle en était ressortie vers 21h30. Quelques minutes plus tard, elle montait dans une voiture conduite par un barbu aux yeux noirs et pénétrants. Ils allèrent dans un terrain vague, près d'Arthington Street. Il la tua à coups de marteau, la traîna jusqu'au canapé et sauta à pieds joints sur sa poitrine, jusqu'à ce que les côtes se brisent.
     Deux mois après la découverte du corps d'Yvonne Pearson, Véra Millward fut retrouvé morte sous un réverbère, dans le parc de l'Hôpital de Manchester. Frêle et maladive, elle paraissait avoir quinze ans de plus que ses 41 ans. L'Eventreur la frappa trois fois à la tête avec son marteau, et lui taillada sauvagement le ventre.
     D'origine espagnole, mère de sept enfants, Véra Millward était arrivée en Angleterre après la guerre, comme bonne à tout faire. Ensuite, elle s'était mise en ménage avec un Jamaïcain, puis s'était prostituée, à Manchester, pour nourrir sa famille.
     La nuit du mardi 16 mai, son ami pensa qu'elle était sortie - ils habitaient dans Greenham Avenue - pour acheter des cigarettes et aller chercher des médicaments à l'hôpital, pour ses douleurs d'estomac chroniques.
     C'est un jardinier qui découvrit le corps, à 8h10 le lendemain matin, derrière un tas de déchets dans un coin du parc, contre une clôture ; comme elle était petite, il pensa d'abord qu'il s'agissait d'une poupée. Véra Milward était couchée sur le côté droit, le visage contre le sol, les bras repliés sous elle et les jambes allongées. Les chaussures étaient posées sur le corps, et appuyées contre la clôture. Elle était à moitié recouverte d'un manteau gris, et un morceau de papier cachait le visage défiguré.

 
" Avant de le faire,
je passais par des moments terribles.
C'était vraiment une torture "
PETER SUTCLIFFE
    
    
La récompense pour toute information concerant le tueur fut portée à 15 000 livres. Tous les policiers de l'équipe d'Oldfield étaient persuadés que l'homme qu'ils cherchaient habitait l'ouest du Yorkshire.
     Depuis la fin 1978, en l'espace de moins d'un an, les inspecteurs avaient rendu visite à l'Eventreur à quatre reprises. Les deux premières fois à propos du billet de cinq livres et, trois mois après la mort de Véra Millward, ils l'interrogèrent à nouveau parce que le numéro de sa voiture avait été relevé lors de contrôles effectués à Leeds et à Bradford.
   
" Mon désir de tuer des prostituées
devenait de plus en plus fort ;
il me dominait entièrement "
PETER SUTCLIFFE
    
    
La quatrième fois, Sutcliffe fut questionné au sujet des pneus de sa voiture. La police recherchait en effet un dessin de pneumatiques correspondant aux traces relevées lors du meurtre d'Irene Richardson, presque deux ans plus tôt. Comme à son ordinaire, Peter fut calme et coopératif, ne laissant absolument rien paraître. Les inspecteurs ne cherchèrent pas à vérifier son groupe sanguin ( assez rare ), ni sa pointure ( petite pour un homme ) ; c'était pourtant les deux caractéristiques connues du tueur.

 
3            L'EVENTREUR   SE   DECHAÎNE

Au cours de l'hiver 1980, la police semblait loin d'aboutir.
Le meurtrier ne se contentait plus d'agresser les prostituées, et
l'enquête paraissait enterrée sous une
montagne de papier.


 
 Manifestation de femmes après le treizième meurtre.
 Sutcliffe tuait depuis cinq ans, mais les recherches de la police n'avançaient pas.


    
De juin 77 à mai 78, Peter Sutcliffe avait agressé sept femmes, il en avait tué cinq et blessé gravement deux. Cependant, cette série de meurtres cessa brusquement. Durant les onze mois qui suivirent, l'Eventreur du Yorkshire ne fit plus parler de lui. On avança diverses théories. Certains disaient qu'il s'était suicidé, emportant son secret dans la tombe, tout comme Jack l'Eventreur.

     Une nuit, le mercredi 4 avril 1979, Sutcliffe fit la route de Bingley à Halifax. Peu avant minuit, il descendit de voiture et rencontra une jeune fille de 19 ans, Joséphine Whitaker, qui traversait le terrain de sport de Savile Park. Il engagea la conversation puis, comme ils s'éloignaient des lumières de la rue, il lui asséna un terrible coup de marteau au bas du crâne et traîna son corps dans l'ombre.

     On retrouva le cadavre de Joséphine le lendemain matin. Comme Jayne MacDonald, il s'agissait d'une fille honnête, vivant chez ses parents et travaillant comme employée au siège d'une grande entreprise de construction, la Halifax Building Society. Ce meurtre témoignait du fait que l'Eventreur ne s'était pas mépris en assassinant Jayne MacDonald. Il ne se bornait plus aux agressions de prostituées, n'importe quelle femme qui sortait la nuit pouvait être sa proie. Dès lors, il y eut, de fait, un couvre-feu pour les femmes du nord de l'Angleterre.


 
LA   DUPERIE
 
     Durant tout ce temps, Peter Sutcliffe trompait sa famille et ses amis de façon stupéfiante. Il mettait un point d'honneur à venir chercher Sonia à son travail pour la " protéger " du tueur, et il déclara à un de ses collègues que " celui qui tue ainsi, quel qu'il soit, aura des comptes à rendre ". Une fois même, les autres chauffeurs de camions parièrent en plaisantant que c'était lui l'Eventreur ; Peter sourit, mais ne dit rien.
     La folie meurtrière durait depuis quatre ans. Dix femmes étaient mortes et la police ne semblait pas près de mettre la main sur le tueur sadique. Elle s'était perdue dans une foule de renseignements contradictoires, de fausses nouvelles et de divagations. Bien qu'elle n'eût presque rien livré à la presse des sinistres manies du tueur, les rumeurs les plus folles circulaient.

     Le tragique épisode du canular de Sunderland, qui dirigea la police sur une fausse piste, et qui coûta peut-être la vie à trois victimes, se produisit à ce moment. En mars 78 et juin 79, George Oldfield avait reçu trois lettres et une cassette anonymes : elles semblaient indiquer que l'Eventreur était en fait originaire de Geordie, c'est-à-dire de la région nord-est de l'Angleterre.
 
TRISTE   ETE
 
     Sutcliffe laissa la police mariner tout au long de ce torride été de 1979. En juillet, il reçut la visite de l'inspecteur Laptew, parce que sa voiture avait été repérée dans la zone de Lumb Lane, à trente-six reprises. Le policier sentit qu'il y avait quelque chose de suspect chez Peter, mais comme les recherches étaient centrées sur le nord-est, ses remarques restèrent sans effet. Un mois plus tard, Sutcliffe était de nouveau à Bradford et y tuait sa onzième victime.
     C'était un samedi, le 1er septembre. Peter arpentait les rues dans le quartier de Little Horton, où vivaient beaucoup d'étudiants. A une heure du matin, il repéra Barbara Leach, étudiante en seconde année de sociologie, qui se séparait de ses amis devant le pub Mannville Arms, sur Great Horton Road.
     Il l'agressa dans Ash Grove, à moins de deux cent mètres du pub, et il la traîna dans une arrière-cour. Là, il la frappa de huit coups de couteau et laissa son corps dans le coin des poubelles après l'avoir recouvert d'un vieux tapis qui traînait là. Barbara ne fut retrouvée que le lendemain après-midi.

 
L ECHEC   DE   LA   POLICE
 
     On envoya alors deux sommités de Scotland Yard dans le Yorkshire, en qualité de conseillers. Ils regagnèrent Londres au bout d'un mois, sans avoir fait progresser l'enquête. Les policiers de Manchester retournèrent quant à eux à Bradford pour reprendre les recherches sur le billet de cinq livres. Ils réussirent à limiter à 270 le nombre de suspects, mais ne purent avancer davantage dans leurs conclusions.
     Noël passa, puis Pâques, on en était toujours au même point. A la fin de l'été 80, la population commençait à oublier un peu l'Eventreur. Dans leur maison de Garden Lane, Peter et Sonia Sutcliffe continuaient leur petite vie tranquille, sortant peu et préférant la vie à deux. Cependant, Peter fréquentait toujours le pub de Bradford, le soir, pour retrouver ses amis et ses frères. Ces trajets incessants, et les allers et retours à son travail, ont toujours rendu difficile, pour la police, le contrôle exact de ses déplacements lors de la nuit fatidique.
     Le mardi 18 août, il gagna Farsley, un faubourg de Leeds, et tua pour la douzième fois.


 
" Je me les rappelle toutes et je me dis
que je suis une brute. Penser à elles
me fait sentir quel monstre je suis "
PETER SUTCLIFFE


UNE FONCTIONNAIRE

 
     Marguerite Walls avait 47 ans ; elle travaillait pour le ministère de l'Education et des Sciences. Elle était restée tard au bureau pour mettre les dossiers en ordre avant de partir pour dix jours de vacances. Elle sortit à 22h pour faire à pied les deux kilomètres la séparant de son domicile. Deux jours plus tard, on retrouva son corps sous un tas de broussailles et de déchets, dans un coin boisé de la propriété d'un magistrat. Elle avait été assommée et étranglée, mais son corps n'était pas mutilé. Ce fait amena la police à refuser de porter le meurtre au crédit de l'Eventreur.
     Trois mois plus tard, il n'y eut pas l'ombre d'un doute pour le cas de Jacqueline Hill, étudiante en langues à l'Université de Leeds. Elle était descendue du bus à Otley Road, juste en face d'un fast-food, à l'enseigne du Kentucky Fried Kitchen. Elle arrivait presque à Lupton Flats, une cité universitaire, lorsque Sutcliffe, les doigts encore graisseux des frites qu'il venait de manger, la frappa violemment par derrière. Il traîna le corps dans un terrain vague, derrière les boutiques, et s'acharna sauvagemment sur celui-ci. La mort avait frappé Jacqueline si soudainement qu'un de ses yeux était resté ouvert : Sutcliffe poignarda à plusieurs reprises cet oeil accusateur.

 
LA   COLERE
 
     Après cinq ans de peur, les femmes perdirent patience et manifestèrent dans la rue leur angoisse et leur mécontentement. La colère du public se tournait contre l'impuissance de la police qui accumulait témoignages et informations, mais se montrait incapable de les exploiter.
     Deux jours avant le meurtre de Jacqueline Hill, le ministère de l'Intérieur, pris à parti pour son incompétence, avait fini par mettre sur pied une brigade de policiers d'élite. Ces super-flics, six semaines après la mort de Jacqueline, arrivèrent à la même conclusion que les inspecteurs du Yorkshire : c'était un mystère total !

 

     
     


     Pour tuer, Peter Sutcliffe utilisait une surpenante panoplie d'outils de bricolage. Lors de son procès, plus de trente instruments étaient alignés sur une table, chacun marqué d'une étiquette jaune. Il y avait sept marteaux à pannes rondes, un marteau d'emballeur et une scie à métaux à monture métallique.

     Divers couteaux à découper et un jeu de huit tournevis donnaient une idée des mutilations que le meurtrier avait fait subir à ses victimes. On trouvait un tournevis à empreinte cruciforme, rouillé, qui avait été soigneusement affûté en pointe, à la meule. Il avait été enfoncé dans l'oeil de Joséphine Whitaker.

     Il y avait aussi un couteau de cordonnier et une corde que Sutcliffe avait utilisée pour étrangler ses victimes.

 
    

 




4          SINISTRE   CANULAR  !

Au cours de l'enquête, la police attendait que l'Eventreur
commît une erreur. L'été 78, elle pensa que c'était chose faite, quand
George Oldfield reçut une cassette enregistrée.

 
     L'enquête, en cet été 78, sembla basculer en pleine tragédie classique. Les acteurs étaient George Oldfield, le commissaire de police Ronald Gregory, et un mauvais plaisant anonyme qui fut rapidement connu sous le nom de l'Eventreur de Geordie. C'était l'auteur d'une sinistre blague faite aux policiers ; ceux-ci désespéraient de mettre la main sur le coupable pour éviter le naufrage de leur réputation et pour calmer l'angoisse grandissante de la population : ils étaient pressés de toute part et l'on peut comprendre qu'ils se soient trouvés amenés à commettre une grossière erreur de jugement.
     Les deux premières lettres arrivèrent en mars 1978 ; elles avaient été postées cinq jours auparavant à Sunderland ( Comté de Durham, sur la mer du Nord ). L'une était adressée à George Oldfield, l'autre au rédacteur en chef du Daily Mirror de Manchester. Leur authenticité était loin d'être manifeste dans la mesure où l'auteur donnait un chiffre erroné quant au nombre de victimes : elles avaient été écrites alors qu'Yvonne Pearson était déjà morte, mais son corps n'avait pas encore été retrouvé. Elles furent archivées et oubliées.


Extrait de la 3ème lettre de " l'Eventreur ". Elle fut publiée dans les journeaux qui lancèrent un appel pour identifier l'écriture.     

     Un an plus tard arriva une troisième lettre. Elle avait été postée avant la levée de 13h45, le 23 mars 1979 ; les experts graphologues confirmèrent qu'elle était de la même main que les deux premières. D'après la police, cette dernière lettre était convaincante dans la mesure où l'auteur affirmait que Véra Millward, la dernière victime, avait fait un séjour à l'hôpital. Les enquêteurs crurent que ce renseignement n'avait pu être donné que par Véra elle-même. Ils parvinrent à la conclusion - rapide et erronée - que l'Eventreur était bien l'auteur des missives.
 
" C'est un miracle qu'ils
ne m'aient pas arrêté avant.
Ils avaient tous les éléments,
ils savaient que c'était moi "
PETER SUTCLIFFE

 
     Le troisième texte laissait entendre que le prochain meurtre pourrait bien avoir lieu à Bradford, mais certainement pas à Chapeltown, devenu " sacrément trop risqué ", à cause de ces " satanés flics ". Le langage employé était bizarre, et le ton général des lettres faisait penser au sadisme des lignes sarcastiques laissées par le véritable Jack l'Eventreur ; aussi, certains policiers émirent-ils des doutes. Cependant, la hiérarchie voulait des résultats à tout prix, et elle passa outre.
     Deux semaines plus tard, Joséphine Whitaker était assassinée à Halifax. C'était la seconde victime qui n'était pas une prostituée et Oldfield se trouva en situation délicate. Entre les mains, il n'avait que les trois lettres de Sunderland.
     Il organisa une conférence de presse pour révéler l'affaire. Sur l'une des lettres, on avait décelé des traces d'huile de moteur semblables à celles trouvées sur le corps de Joséphine Whitaker, et la thèse s'en trouvait renforcée. La population fut conviée à donner tous les renseignements possibles sur toutes les personnes qui avaient pu se trouver à Sunderland, les jours où les lettres avaient été postées. On obtint une masse d'informations, comme si les gens étaient soulagés de pouvoir faire quelque chose de concret. Cependant, après analyse, on ne put rien conclure.
     Le matin du 18 juin 1979, deux mois après la mort de Joséphine Whitaker, une enveloppe kraft fut déposée sur le bureau d'Oldfield. L'adresse était tracée de la même écriture et elle contenait une cassette noire, d'une qualité médiocre. Pour Oldfield, c'était l'indice qui manquait pour confirmer son hypothèse. Il introduisit la cassette dans un magnétophone et appuya. Il entendit un message de 257 mots, prononcé par un individu à fort accent du nord-est de l'Angleterre. S'il était authentique, c'était une piste de premier choix.

 
UNE   REPUTATION   EN   JEU
 
     Oldfield était convaincu de l'authenticité de la cassette, mais il pensait qu'il était préférable de ne pas rendre l'enregistrement public tout de suite. En revanche, le commissaire Ronald Gregory estimait que le coupable serait vite identifié si la bande était largement diffusée.
     Deux jours plus tard, la presse eut vent de l'existence du message et de son contenu. Oldfield  convoqua hâtivement la presse et les journalistes du monde entier s'entassèrent dans le petit amphithéâtre de l'école de police de Wakefield. Il fit une dernière concession à l'objectivité en soulignant, qu'après tout, il pouvait bien s'agir d'un canular... Mais cette dernière réserve tomba d'elle-même, emportée par la soif de sensationnel des médias.
     Sa réputation et sa carrière étaient en jeu. Il semblait prendre les méfaits de l'Eventreur comme des défis personnels et il était prêt à tout pour le capturer.
     La campagne de presse fut énorme et tout le monde put entendre, sur les ondes, la voix de " l'Eventreur de Geordie ". En quelques jours, plus de 50 000 appels téléphoniques parvinrent à la police.

 
" Un inspecteur me dit qu'il
était sûr que c'était moi.
Il avait une photo de mon empreinte
de botte... Si lui ne m'arrêtait pas,
personne ne le ferait "
PETER SUTCLIFFE


LES   EXPERTS

 
     George Oldfield fit appel à des spécialistes en linguistique de l'Université de Leeds, Stanley Ellis, un des meilleurs experts en dialectes locaux, et Jack Windsor Lewis, maître de conférence au Département linquistique et phonétique. Ils établirent rapidement que l'accent en question était caractéristique de la région du Wearside et le localisèrent même dans la ville de Castletown, banlieue populaire de Sunderland. Les policiers du Yorkshire se déplacèrent - vingt inspecteurs et cent hommes furent installés en ville. La couverture médiatique frôlait la saturation.
     Théoriquement, l'arrestation n'était qu'une question de temps : la petite ville de Castletown, avec ses 4 000 habitants, fut passée au peigne fin. Certains policiers, ayant gardé la tête froide, commençaient à comprendre qu'il s'agissait d'un canular : " l'Eventreur de Geordie " savait qu'il ne serait pas arrêté parce qu'il avait un alibi inattaquable pour les nuits des crimes ! La police locale émit publiquement des doutes.

 
 Le nouveau ministre de l'Intérieur, William Whitelaw, vint à Leeds pour tenir une réunion secrète avec la police.

 
Les deux experts en linguistique, Ellis et Lewis, exprimèrent aussi leur scepticisme. Ils essayèrent de convaincre les enquêteurs de ne pas abandonner les autres pistes. Ils ne furent pas entendus et la police du Yorkshire continua à se consacrer uniquement à la traque de l'Eventreur de Geordie. Oldfield et Gregory préparèrent une énorme campagne, avec un budget d'un million de livres. Quelques jours avant le lancement de celle-ci, Ellis et Lewis écrivirent chacun une lettre à Oldfield et à Gregory, pour leur faire part de leur méfiance, mais sans résultat !

 

FUNESTE   ENTÊTEMENT
 
     L'acharnement de la police à rechercher l'assassin dans le nord-est signifia l'abandon de tous les autres suspects, y compris du barbu de Bradford qui avait été impliqué dans l'affaire du billet de cinq livres, dont le numéro de voiture avait été relevé dans les quartiers concernés par les meurtres, et qui avait été interrogé à quatre reprises.
     La sinistre campagne de publicité se poursuivait ; elle se prolongea jusqu'en 1980, s'essoufflant finalement d'elle-même par manque de résultats. La police, déjà surchargée de données à traiter, fut noyée sous une masse de témoignages inutiles.
     Par une curieuse ironie du sort, et malgré ces hypothèses erronées, la police aurait, cependant, pu être mise sur la voie. Les expertises montrèrent que celui qui avait léché, pour les coller, les enveloppes venant de Sunderland, apppartenait au groupe sanguin B, assez rare puisque ne concernant que 6% de la population.
     A ce moment, les policiers étaient persuadés que l'Eventreur était responsable du meurtre de Joan Harrison, à Preston, dans le Lancashire, trois semaines après le premier assassinat sur la personne de Wilma McCann. Le sperme, retrouvé sur le corps de Joan Harrison, indiquait que le coupable appartenait au groupe B. Or, il se trouvait que Peter Sutcliffe était lui aussi du même groupe : mais, il n'était pas allé à Preston et il n'avait pas non plus l'accent du Sunderland. Il ne fut donc pas soupçonné !

 
" Au cours de l'enquête, beaucoup
de choses sont allées de travers ;
nous avons commis des erreurs,
des fautes d'appréciation... "
Rapport de RONALD GREGORY

 
     Rien ne dit, évidemment, que la police, si elle n'avait pas suivi une fausse piste, aurait arrêté Sutcliffe avant les assassinats de Joséphine Whitaker, de Barbara Leach, de Marguerite Walls et de Jacqueline Hill. Cependant, elle fut fortement retardée et handicapée.
     Jusqu'à ce jour, l'auteur du canular est resté inconnu. Cet homme du Sunderland est, en un certain sens, aussi responsable de la mort des trois dernières victimes de l'Eventreur que s'il avait lui-même tenu le marteau. Et il aurait pu y en avoir beaucoup plus !

 
IRRESPONSABILITE
 
     Comment peut-on juger une telle attitude qui paraît inqualifiable ? En effet, l'Eventreur de Geordie s'est-il rendu compte de la portée de son acte. En s'accusant, il donnait libre champ à Sutcliffe ( au vrai meurtrier ) de commettre tous ses assassinats. On peut penser, mais la conclusion est peut-être un peu hâtive, que cet homme était mégalomane et avait une soif de reconnaissance. Il avait absolument besoin que l'on parle de lui, d'être reconnu par la police et surtout par les médias. C'était sans doute un irresponsable et un fou, dans un autre genre, tout aussi nuisible que l'Eventreur du Yorkshire.
 
5             LA   CHANCE   TOURNE


Peter Sutcliffe fut arrêté en janvier 1981, à Sheffield, pour détention
de plaques d'immatriculation volées. Quatre mois plus tard,
il était dans le box des accusés, jugé pour
treize meurtres.

 

    
Le second jour de l'année 1981, le sergent Robert Ring et   l'agent de police Robert Hydes commençaient leur ronde de nuit. Dans une rue du quartier des prostituées ils virent Olivia Reivers monter dans une Rover V8 3500. Ils hésitèrent à intervenir pour racolage. Le chauffeur, trapu et barbu, déclara s'appeler Peter Williams et être propriétaire de la voiture. Il descendit précipitamment et demanda à satisfaire un besoin pressant. Bob Ring acquiesça d'un air exaspéré et l'homme de petite taille se dirigea vers les buissons.
     Dans l'obscurité, il sortit d'une poche de son manteau un marteau à pannes rondes et un couteau, et les cacha dans les buissons. Olivia Reivers contestait vivement les accusations des policiers.
     Cependant, l'homme revint vers la voiture. Les policiers s'étaient aperçus que les plaques d'immatriculation étaient fausses et maquillées. Ils l'emmenèrent au poste de police d'Hammerton Road, pour l'interroger. L'homme, en réalité, s'appelait Peter William Sutcliffe. Il était calme et disposé à parler - après être allé aux toilettes et avoir dissimulé un second couteau dans la chasse-d'eau. Il admit rapidement qu'il avait volé les plaques d'immatriculation. La police de toute la région avait reçu pour consigne d'informer les inspecteurs enquêtant sur l'Eventreur, pour tout individu pris avec une prostituée. Sutcliffe fut gardé à vue pour la nuit. Le lendemain, il fut transféré au commissariat de Dewsbury.



 
    
    
Lors des interrogatoires, il se montra loquace. Il déclara qu'il était routier et qu'il effectuait de fréquents trajets vers le nord-est. Incidemment, il mentionna qu'il avait été questionné par les inspecteurs chargés de l'enquête sur l'Eventreur, à propos du billet de cinq livres et de ses fréquentes visites dans le quartier chaud de Bradford.
     La police de Dewsbury téléphona aux inspecteurs de Leeds. Le brigadier O'Boyle découvrit rapidement que le nom de Sutcliffe était revenu plusieurs fois au cours de l'enquête. Il sauta dans une voiture pour parcourir les 12 km séparant Leeds de Dewsbury.
     A six heures du soir, O'Boyle fut suffisamment intrigué par Sutcliffe pour prévenir son supérieur immédiat, John Boyle. Celui-ci s'aperçut que l'homme était du groupe B et il se précipita également à Dewsbury. Sutcliffe allait passer sa seconde nuit en cellule.
     Au même moment, à Sheffield, Bob Ring entendit, par hasard, un de ses collègues dire que le conducteur de la Rover était toujours retenu à Dewsbury, et interrogé par la brigade chargée de l'affaire de l'Eventreur. Il se précipita à Melbourne Avenue. Après quelques minutes de recherches fébriles, il trouva ce qu'il était venu chercher et appela la police. Bob Ring avait retrouvé un marteau à pannes rondes et un couteau. L'inspecteur et le brigadier restèrent sans voix, osant à peine y croire.

 
" Tuer des prostituées était
devenu une obsession.
Je ne pouvais pas m'arrêter.
C'était comme une drogue "
PETER SUTCLIFFE

 
     Sutcliffe s'endormit profondément tandis que le commissariat bourdonnait comme une ruche. Le brigadier Peter Smith, qui avait été un des premiers sur l'affaire, fut convoqué. Il se rendit, en compagnie de Boyle, chez Sutcliffe, dans la petite maison de Garden Lane ; tous deux interrogèrent sa femme, Sonia, dans une pièce du bas, tandis que des agents fouillaient la maison.
     Toute la matinée du dimanche, Boyle interrogea Sutcliffe sur divers sujets, sans évoquer la question de l'Eventreur. Brusquement, au début de l'après-midi, il parla du marteau et du couteau trouvés à Sheffield. Peter, si volubile jusque-là, demeura silencieux. Boyle le poussa : " Je pense que vous allez avoir des ennuis, de sérieux ennuis ".
     Sutcliffe se décida. " Je crois que vous avez trouvé l'Eventreur du Yorkshire ". Boyle s'efforça de rester calme.
     " L'Eventreur ? Que voulez-vous dire ? "
     " C'est moi " dit Sutcliffe.
     Il reconnut avoir tué onze femmes, mais nia avoir assassiné Joan Harrison et envoyé la cassette de Sunderland.
     Boyle n'en croyait pas ses oreilles. L'enquête était terminée. Sutcliffe semblait aussi soulagé que les policiers. " Penser à elles me fait sentir quel monstre je suis " leur confia-t-il. Il refusa la présence d'un avocat pour ce premier interrogatoire où il fit le long récit de ses meurtres. Il ne mentionna pas la voix de Dieu qui lui aurait donné une légitimité surnaturelle.
    
     Pendant un jour et demi, Boyle et Smith recueillirent la confession de Sutcliffe. Il fallut en tout dix-sept heures. Qaund ils lui demandèrent pourquoi il avait fait cela, il répondit qu'il avait commencé à tuer en 1969, parce qu'une prostituée lui avait escroqué dix livres. A cette époque, il vivait une crise de jalousie terrible et il avait eu besoin de la compagnie d'une prostituée. L'expérience fut catastrophique. Il n'eut pas de rapport sexuel avec la fille, mais celle-ci le roula. " Je me sentais offensé, humilié et embarrassé. Une haine m'envahit pour les filles de son espèce ".
     A la fin de ses longs aveux, Peter Sutclifffe signa le procès-verbal et identifia le couteau et le marteau retrouvés à Sheffield.
     Sous bonne garde, il fut transféré à la prison d'Armley, à Leeds. La nouvelle de l'arrestation commença alors à se répandre et une atmosphère de liesse emplissait les rues et les pubs que l'Eventreur avait si longtemps terrorisés.
     Quatre mois plus tard, le procès de Sutcliffe s'ouvrait au premier tribunal d'Old Bayley, à Londres. S'il eut réellement lieu, ce fut uniquement du fait du juge Boreham.
     En effet, avant même la mise en accusation, l'avocat de la Couronne, celui de la défense et le Procureur général étaient tombés d'accord sur l'état de déficience mentale dont souffrait Sutcliffe - la schizophrénie paranoïde. Après avoir épouvanté les femmes pendant cinq ans, l'Eventreur du Yorkshire allait tout simplement être interné.
     Cependant, le juge Boreham ne l'entendait pas de cette oreille. Cachant à peine son irritation devant les avocats, il rejeta leur suggestion et repoussa l'audience à cinq jours ; il insista sur le fait que le jury devrait se prononcer, au nom des sujets de Sa Majesté, sur la folie ou la culpabilité de Sutcliffe.

 
Devant une horde de journalistes, Peter William Sutcliffe quitte le tribunal pour purger une peine minimum de trente ans de prison.
 
     Ce dernier plaidait l'irresponsabilité. Il était calme et posé. Sa voix haut-perchée trembla à lorsqu'il fit, aidé de son avocat, le long récit de ses meurtres. Il se laissa même aller à un petit rire lorsqu'il évoqua le moment où il avait été interrogé sur ses bottes de caoutchouc et sur les empreintes laissées sur la cuisse d'Emily Jackson et de Tina Atkinson : les policiers n'avaient même pas remarqué que c'était celles-là, précisemment, qu'il portait : Les avocats de la défense avaient tenté de le dissuader de déposer sous serment. Il refusa.

  Depuis sa première déposition, il n'avait cessé de proclamer qu'il avait suivi les injonctions de Dieu. Pour le jury, la question était simple : Ou bien Sutcliffe était fou, comme le maintenait la défense, ou bien c'était un sadique sexuel, comme l'affirmait maintenant l'accusation.
  Le 22 mai, en fin d'après-midi, Sutcliffe se leva pour entendre le verdict. Il fut déclaré coupable de treize meurtres et de sept agressions.
  Le juge prononça une sentence de prison à perpétuité, assortie d'une peine de sûreté de trente ans. Il fut incarcéré au quartier de sécurité de la prison de Parkhurst, dans l'île de Wight.
  Trois années plus tard, en mars 1984, il fut transféré au pavillon n°1 de l'hôpital psychiatrique, Somerset House.
  Son état mental s'est détérioré au point qu'il est souvent totalement incohérent.





 Dix mois après son agression par un détenu,
 Sutcliffe porte encore de graves traces au
 visage.
 

 

 LE   SAVIEZ-VOUS ?

    Peter
Sutcliffe vient de passer presque 30 ans dans un établissement psychiatrique pénitenciaire, à Broadmoor, dans le sud est de l’Angleterre. L’arrêt du juge Mitting vient de refermer la porte sur lui pour le restant de ses jours. Cet homme mourra emprisonné. La décision a été accueillie par le soulagement, notamment de la part de Richard McCann, fils de Wilma McCann la première victime de "l’éventreur du Yorkshire".
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